Je suis influenceur. J’ai des milliers d’abonnés. Je signe des partenariats avec des grandes marques de luxe. Et je n’existe pas. Qui suis-je ? La nouvelle tendance en influence marketing des grands acteurs du luxe qui surprend autant qu’elle interroge.
Qui sont ces influenceurs virtuels ?
Elles s’appellent Lil Maquela ou Shudu Gram, sont suivies par des communautés engagées, signent des partenariats avec Dior, Prada et Vogue et ne sont pourtant que des personnalités virtuelles tout droit sorties de l’imagination de leurs créateurs.
Parmi les personnalités virtuelles les plus suivies à ce jour, trois ont été créées par la start up Brud : Lil Miquela (1,5M d’abonnés), Blawko22 (133K abonnés) et Bermudaisbae (111K abonnés). Leurs comptes Instagram ressemblent pourtant à n’importe quel compte d’influenceur : de belles photos mises en scène, et plus étonnant encore, des photos de leur quotidien avec leurs amis. Parce que oui, je vous rappelle que Lil Miquela est la meilleure amie de BermudaisBae, qui elle-même était la petite amie de Blawko22 jusqu’à il y a encore quelques semaines. Non, nous ne sommes pas dans un nouvel épisode des Kardashian mais dans la vraie vie d’influenceurs virtuels. Brud, la start up californienne à l’origine de ces créations, indique, via un unique message sur son site, se spécialiser « in artificial intelligence and robotics » et avoir été approchée par la compagnie Cain Intelligence pour développer « the world’s most advanced AI ». Une compagnie qui, sous ses airs d’Umbrella Corporation, semble en effet n’être qu’une nouvelle création parodiant les grands groupes malfaisants de n’importe quel film catastrophe. On doit le reconnaitre : certains se sont donnés beaucoup de mal pour créer une véritable origin story à ces influenceurs virtuels !
Autre personnalité, autre histoire : Shudu Gram (148K abonnés) a, elle, été créée par Cameron James Wilson, un photographe de mode britannique. Au contraire de ses comparses sus-nommés, Shudu a davantage l’allure et le feed Instagram d’un véritable mannequin plutôt que d’un influenceur digital. Elle se présente d’ailleurs elle-même comme « the world’s first digital supermodel » dans sa bio Instagram. Et pourtant, ses traits sont si bien travaillés qu’on la prendrait sans problème pour une véritable personne.
Alors certes ces avatars n’existent pas mais il y a pourtant bien des équipes qui œuvre derrière pour négocier les offres de partenariats, animer ces influenceurs et poster le contenu produit sur les réseaux. Quant à savoir qui, la question semble à l’heure actuelle ne pas trouver de véritable réponse.
Ces influenceurs virtuels semblent en tout cas faire la joie des marques de mode et de luxe mais il ne serait pas étonnant d’en voir d’autres émerger sur de nouveaux secteurs. Simon Tenenbaum évoque ainsi que la création d’un tel avatar pourrait revenir entre 5 000$ et 100 000$, soit une broutille pour les grands annonceurs qui auraient peut-être tout intérêt à s’engager dans la tendance.
Quels avantages pour les annonceurs ?
Exprimer les valeurs de sa marque via les canaux de communication habituels n’est pas toujours chose aisée. Quoi de mieux alors que de pouvoir créer de toute part un visage et une personnalité qui ne fera pas que représenter la marque mais qui l’incarnera véritablement ? La proposition semble alléchante et pourrait bien attirer de plus en plus d’annonceurs. Fini les potentiels tracas que peuvent rencontrer les marques lorsqu’elles s’associent à des influenceurs traditionnels : l’influenceur virtuel à ce côté extrêmement rassurant, c’est l’assurance d’un contrôle total de la communication. Que l’annonceur passe par un avatar virtuel qui lui appartienne ou non, il sera maitre total du storytelling et sera certain d’éviter d’éventuels bad buzz liés au comportement imprévisible d’un influenceur traditionnel. Et puis qui dit virtuel, dit également infatigable et docile. Une aubaine donc !
Quelles limites dans le recours aux influenceurs virtuels ?
Si l’affaire était aussi simple, elle sera déjà pliée et nous serions dès lors cernés par ces nouveaux influenceurs. Alors pourquoi les marques ne s’engouffrent-elles pas dans la tendance ? Premier point, nous l’évoquions, créer un avatar demande un certain budget que toutes ne peuvent pas se permettre. Mais au-delà de la création, c’est la production de contenu régulier qui peut en freiner plus d’un. Il faut en effet avoir de la matière, les ressources humaines et budgétaires pour produire et le temps nécessaire pour alimenter de manière régulière les réseaux sociaux. Deuxième point : mettre un visage sur une entreprise c’est prendre la décision de lui donner des traits féminins ou masculins, caucasiens ou asiatiques, avec des cheveux blonds ou châtains… Le risque serait alors de perdre une partie de ses fidèles qui ne serait plus capable de s’identifier à la marque. Faire appel à des influenceurs virtuels existants et qui travaillent d’ores et déjà pour divers annonceurs pourrait alors être le bon compromis.
Du point de vue des marionnettistes qui jouent les chefs d’orchestre pour ces influenceurs virtuels, il est important d’être capable de proposer du contenu qui ne soit pas uniquement sponsorisé par des marques. S’ensuivrait sans quoi un catalogue de marques et de contenus sponsorisés qui ne saurait ni fédérer une communauté ni permettre à une marque d’émerger. Tout influenceur, virtuel soit-il, se doit d’animer sa communauté et de proposer du contenu authentique pour la faire vivre. Défi plus grand encore, comment faire pour qu’une communauté s’identifie à un personnage fictif qui l’intéresse suffisamment pour exercer une influence sur elle ?
D’un point de vue légal la question se pose également. Les règles qui régissent le marketing d’influence sont assez claires mais comment se retranscrivent-elles lorsqu’il s’agit d’une personnalité fictive ? Un influenceur virtuel ne pouvant avoir d’opinion propre, s’il parle d’un produit ou d’une marque, est-ce alors un partenariat rémunéré ou juste l’avis de la personne en charge de publier du contenu ? Qu’en est-il de leur prise de position ? À qui peut-on imputer la prise de position de Lil Miquela qui soutient Black lives matter et la communauté LGBTQ+ ?
Une frontière entre réel et virtuel qui s’estompe de plus en plus et qui interroge sur ses conséquences. Alors, influenceur virtuel, l’avenir du marketing d’influence ?
Sources :
– https://bfmbusiness.bfmtv.com/emploi/les-influenceurs-virtuels-attirent-les-marques-1512140.html