Cet article fait suite à un constat intervenu dans le monde de la publicité digitale. Il s’agit notamment de l’apparition de ces acteurs appelés influenceurs.euses qui entretiennent des communautés plus ou moins larges, autour de sujets qui leur sont spécifiques (lire notre précédent article sur le sujet). Selon le Rapport n°804 de la commission économique de l’Assemblée Nationale, la France compte près de 150 000 influenceurs actifs sur les réseaux sociaux. C’est l’équivalent du nombre d’habitants de la ville d’Angers.
Du fait de leur notoriété sans cesse grandissante et de leur faculté à influencer le comportement d’achat de leur communauté, ils apparaissent aujourd’hui comme des maillons incontournables dans la conception et le déploiement des stratégies marketing des marques et produits. Matthieu DELACHARLERY de TF1 Info révèle que le marché des publicités d’influences devrait atteindre près de 38 milliards d’euros d’ici 2025. Les entreprises pour promouvoir leurs marques et produits payent des sommes allant jusqu’à 10 000 euros à ces nouveaux acteurs selon le volume de leur audience, comme le révèle la célèbre émission Complément d’enquête sur France 2.
Face aux enjeux économiques et sociétaux notamment les dérives observées en la matière, les pouvoirs publics et associations professionnelles ont décidé de mettre en place un cadre formel et juridique afin d’encadrer ce phénomène. Lequel phénomène s’il n’est pas contrôlé peut avoir de graves conséquences sur un public souvent jeune et vulnérable.
Le business de l’influence : dérives et arnaques diverses
Face à l’appât du gain et aux larges opportunités qu’offrent les plateformes digitales, l’on a assisté à des dérives dans le milieu de l’influence par voie de manipulations mensongères.
Ces influenceurs devenus prescripteurs auprès de leurs communautés sont la cible privilégiée des marques et produits aux qualités douteuses et aux origines peu traçables. Moyennant des échantillons gratuits et une rémunération à la vidéo, ils arrivent à aguicher les premiers cités afin de promouvoir leur produits. Malheureusement, les conséquences ne sont toujours maitrisables. C’est le cas de Cindy dont l’histoire relatée dans un magazine télé en a choqué plus d’un. Cette mère devenue influenceuse pour produits cosmétiques a subi une perte importante de ses cheveux due à l’utilisation de produits capillaires de mauvaise qualité.
L’on se souvient également de Nabila Benattia, la célèbre actrice de télé réalité suivie par des millions d’abonnés sur ses réseaux sociaux qui a écopé d’une amende de 20 000 euros pour pratiques commerciales trompeuses relatives à la promotion d’un site de trading en ligne. (cf décision de la DGCCRF).
D’ailleurs, Sarah LACOCHE, Directrice de la DGCCRF révèle lors d’un entretien dans Cash investigation que près de 250 influenceurs sont ciblés pour promesses mensongères.
L’on peut citer à ce chapelet les méfaits de l’influenceur Marc BLATA, accusé en France et éxilé à Dubaï et dont les comptes Meta ont été supprimés à cause de la promotion de produits financiers douteux. Il est réapparu sur Tiktok. Selon le collectif d’Aide aux Victimes d’Influenceurs (AVI), Marc Blata fait l’objet de plainte de la part de plusieurs dizaines de personnes.
C’est désormais connu que l’envers du décor des influenceurs n’est pas le monde des bisounours qu’ils tentent de projeter auprès de leurs communautés. Entres mauvaises pratiques et faits de manipulations, les consommateurs sont pris dans l’étau avec des pertes considérables. En témoigne, le fameux feuilleton en 2022 opposant le rappeur Booba à la célèbre agent d’influenceurs Magali Berdah. Le célèbre rappeur accuse d’escroquerie les vedettes de son écurie.
Eu égard à ces dérives qui ont pris des formes variées, quel est le dispositif mis en place par les pouvoirs publics afin de réguler cette pratique ?
Dispositif légal : La loi sur les influenceurs de juin 2023
La loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 vise à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. Cette loi s’articule autour de 4 axes principaux, à savoir :
- La définition de l’influence commerciale ( Article 1er)
Pour être définie comme telle, elle exige de:
- Percevoir une rémunération
- Mobiliser sa notoriété auprès d’une audience
- Communiquer au public par voie électronique
- Faire la promotion de biens, services ou d’une cause quelconque
- L’encadrement des contenus des influenceurs ( article 3 )
Cet article rappelle les dispositions applicables à l’activité d’influence commerciale. Il s’agit notamment de:
- Allégations nutritionnelles
- Boissons alcooliques
- Interdiction de publicité des produits du vapotage
- Publicité des produits de santé
- Démarchage bancaire et financier / produits financiers
- Pratiques commerciales déloyales
- Retransmission de compétitions sportives
- Promotion de produits alimentaires et boissons manufacturés
Des interdictions explicites visées par l’article 4 à l’endroit des influenceurs . A titre d’exemple l’on peut citer :
- La promotion de certains produits financiers à risque
- L’abonnement à des conseils ou à des pronostics sportifs
- Les produits à base de nicotine/tabac
- La promotion impliquant des animaux sauvages
- La transparence à l’égard des consommateurs (article 5)
En ce qui concerne cette disposition, elle consiste à respecter des obligations dès lors que l’influenceur.se trouve dans une collaboration commerciale. Il s’agit :
- D’apposer la mention « Publicité » ou « Collaboration commerciale »
Cette mention doit être claire, lisible et identifiable sur l’image ou sur la vidéo durant l’intégralité de la promotion
- Mention « Images retouchées » en cas de procédés visant à affiner ou à épaissir la silhouette ou à modifier l’apparence du visage
- Mention « Images virtuelles »en cas de procédés d’intelligence artificielle visant à représenter un visage ou une silhouette
- Mentions prévues pour la promotion de formations professionnelles
- L’encadrement de la relation commerciale ( article 7)
Definition de l’agent d’influenceur
« L’activité d’agent d’influenceur consiste à représenter, à titre onéreux, les personnes physiques ou morales exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique définie à l’article 1er avec des personnes physiques ou morales et, le cas échéant, leurs mandataires, dans le but de promouvoir, à titre onéreux, des biens, des services ou une cause quelconque ».
Il est prévu dans cette disposition jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende si les interdictions publicitaires ne sont pas respectées ou si un influenceur dissimule la véritable intention commerciale de sa publication.
Le rôle de la DGCCRF
La Direction Générale de la Concurrence, de la consommation et de la Répression des Fraudes est l’organisme chargé de veiller à ce que le dispositif légal mis en place soit respecté. Elle a aussi un rôle coercitif. Sous tutelle du ministère de l’économie, elle agit en faveur du respect des règles de la concurrence, de la protection du consommateur, de la sécurité et de la conformité des produits et services.
Relativement à l’activité des influenceurs, la DGCCRF par le biais de sa directrice a déclaré lors d’une interview accordé à Elise Lucet sur France 2 que près de 300 enquêtes ont été lancées depuis 2022 et 80 injonctions à l’endroit des influenceurs. Toujours selon ses affirmations, l’entité compte 3000 employés dont 50 dédiés spécifiquement aux contrôle des pratiques des influenceurs.
En sus de la loi influence et du contrôle de la DGCCRF, un guide de bonne conduite des influences des créateurs de contenus a été publié par le Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Ce guide vise à éclairer les influenceurs sur leurs droit et devoirs et à les encourager à adopter un comportement responsable dans leur métier.
Dispositif professionnel d’autorégulation
L’ARRP
L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité est l’organisme de déontologie publicitaire en France, créé en 1935. Elle est administrée par les professionnels et ouvert sur la société civile. Elle regroupe environ 800 entreprises adhérentes et une dizaine de juristes spécialisés en Droit de la Communication, de la Consommation et du numérique. Elle dispose également d’un jury de déontologie publicitaire en charge du traitement des plaintes.
Dans le cadre de ses activités, l’ARRP a mis en place depuis 2021 un observatoire sur les pratiques des influenceurs.
Ledit observatoire vérifie :
- Que les partenariats sont indiqués de manière claire et instantanée
- Que d’autres règles éthiques sont respectées (développement durable, jeux d’argent, comportements alimentaires, santé…)
Il publie régulièrement des études avec des chiffres sur la transparence des partenariats par catégories d’influenceurs. En 2022, les résultats d’une étude menée par l’observatoire révèle que le non-respect des règles était davantage le fait des influenceurs à faible audience (soit un taux de manquement de 31 % pour les influenceurs de moins de 10 000 abonnés). A l’inverse, plus un influenceur a une forte audience, plus il se professionnalise et maitrise les règles de transparence.
L’ARPP et les influenceurs pour une communication responsable
Pour relever le défi et jouer leur part dans le bon fonctionnement du marché publicitaire de l’influence, l’ARPP réunissant les acteurs a mis à disposition une infographie de bonnes pratiques (Influence4you) et un certificat de l’influence responsable à destinés aux influenceurs. Ce certificat a plusieurs buts notamment :
- former au cadre légal et déontologique
- Protéger les audiences
- Se différencier auprès des marques
- S’approprier les enjeux de Brand Safety & de conformité pour les marques
- Imposer par des marques et des agences.
- Accroitre le nombre de certifiés (plus de 700 à ce jour)
Depuis l’instauration de ce certificat, son impact sur la conformité des pratiques chez les certifiés s’est traduit par une baisse du taux de manquement. Soit 22% en 2021 avant certification versus un taux de 1,05% en 2022 après certification.
L’autre défi c’est d’impliquer tous les créateurs de contenus pour diffuser les bonnes pratiques afin de minimiser les égarements de certains d’entre eux et les conséquences néfastes sur les publics vulnérables qui les suivent.
En conclusion, tout comme les annonceurs, les agences médias, les régies etc, les influenceurs.euses doivent se soumettre aux règles et aux bonnes pratiques éthiques et déontologiques qui régissent la pratique publicitaire qu’elle soit online ou offline. C’est le lieu de rappeler ces grands principes éthiques que sont :
- Identification de la publicité et de l’annonceur (principe de transparence)
- Respect d’une publicité loyale, véridique et honnête
- Respect de l’image de la personne humaine
- Protection des enfants
- Publicité et écologie