Comment, sur un marché hyper concurrentiel, la beauté coréenne est parvenue à tirer son épingle du jeu de la communication globale ? Focus sur un soft-Power pas si soft que ça !
Au pays du Matin calme, on pratique une communication qui l’est bien moins. Et si vous avez une vie digitale, il est impossible d’échapper à l’un des fleurons de l’exportation coréenne ! Pour la Corée du Sud, quatrième exportateur mondial de cosmétiques en 2022, la Kbeauty représente une véritable manne financière, avec des exportations atteignant 7,5 milliards de dollars. A titre de comparaison, en 2016, ce chiffre était de 4,2 milliards de dollars. C’est dire l’engouement autour de ces produits aux petits prix mais aux grandes promesses que les influenceurs s’arrachent, qui a misé sur une stratégie horizontale et hyper agressive de communication.
A l’instar du reste de la culture populaire que la Corée a bien voulu exporter, la cosmétique made in Korea a déferlé comme un véritable raz-de-marée sur le monde au tournant des années 2010. Constituante incontournable de ce que l’on nomme aujourd’hui l’Hallyu (vague en coréen), elle a investi avec fracas nos routines beauté et représente un marché évalué à près de 14 milliards de dollars dans le monde ! Et c’est à une stratégie bien huilée, à la fois militaire et souple, que l’on doit ce succès monumentale, qui, à la fois inspire, mais aussi met à mal les méthodes traditionnelles de communication en matière de beauté.
1 – Susciter l’engouement, flirter avec l’écœurement :
Il semble aujourd’hui absolument impossible de leur échapper. Des crèmes aux sérums en passant par les toners, la cosmétique coréenne quadrille les internets. L’ère de la publicité digitale cosmétique est désormais passée au tout coréen. Le hashtag #kbeauty aurait été utilisé 8,4 milliards de fois sur Tiktok en 2023 selon le cabinet d’analyse de tendance NellyRody. Ce succès, c’est à une stratégie de répétition consciencieuse mais pertinente qu’on le doit. Elle est axée sur l’idée simple que si le dégoût des consommateurs potentiels survient lorsqu’on le sursature de la même publicité trop souvent, celui-ci n’est pas pour autant écœuré par le produit en lui-même. Seulement, par la répétition du même message ou du même visuel répété inlassablement. De ce fait, les entreprises coréennes ont simplement décidé de miser sur des campagnes digitales polymorphes et hyper agressive où le capping de 7 à 10 impressions par semaine avant irritation du consommateur sera largement dépassé, mais le support, la communication autour de ce produit sera toujours différente, revêtira toujours une approche nouvelle. Ainsi, le produit, bien présent dans l’esprit des internautes, deviendra hautement désirable, enfin débarrassé de l’aspect redondant de publicité directe, perçue comme intrusive. Cet engouement, c’est également à une perception fine des attentes des consommateurs sur chaque réseau social qu’on le doit, car avec plus de 50,7 millions d’utilisateurs actifs sur les réseaux en France en 2024, soit 78,22% de la population, on peut imaginer le véritable el-Dorado que représente la viralité.
2- A chaque réseau social, sa fonction :
Chaque réseau social revêt un intérêt, une façon de consommer l’image, de discourir, différent. Ainsi, un internaute ne naviguera pas sur Tiktok comme il le fait sur Instagram ou Facebook. A chaque réseau, sa fonction. A chaque fonction, son attente. Et cela, les marques de Kbeauty l’ont bien compris. Ainsi, est-il très courant de voir les bienfaits d’un produit spécifique vantés très différemment sur Tiktok, Instagram ou Youtube.
Sur Tiktok exit le Blabla : L’audience, généralement jeune, est soumise à une succession d’images rapide et à une expérience sensorielle clipée et entêtante. C’est généralement vers les micro, voire même les nano-influenceurs que les marques se tournent sur ce réseau, car leurs audiences sont de façon générale, hyper engagées et n’attendront sans doute pas d’explications particulières sur l’intérêt du produit. C’est l’attachement à la personne qui suscitera l’engouement. Autre avantage pour les marques, les collaborations commerciales avec ce type de créateurs de contenus sont souvent moins couteuses.
Youtube, le royaume des experts : Sur Youtube, l’expérience client est bien différente. Les créateurs de contenu savent prendre le temps. Ils font de la pédagogie. C’est d’ailleurs un facteur déterminant dans l’expérience de considération des utilisateurs. Le produit est présenté, décortiqué, décrit. Son intérêt cosmétique est considéré et souvent discuté, voire même challengé par le youtubeur qui est considéré par son audience comme un expert. Et c’est cette expertise qui va faire la différence et légitimer l’intérêt d’un achat personnel et ciblé.
Sur Instagram, transformer l’essai : Instagram semble aujourd’hui opérer le croisement entre les audiences. A l’instar de Youtube, la plateforme offre à voir des vidéos engageantes plus durables que sur Tiktok. Mais la force d’Instagram est définitivement son esthétisme et la mise en valeur des produits qui peut mener l’audience à une décision d’achat décisive.
C’est l’effort corrélé, concomitant, sur ces trois mastodontes des réseaux sociaux qui ont rendu les marques de Kbeauty absolument incontournables et inévitables sur internet sans écœurer et sans perdre l’intérêt des consommateurs. Être partout, tout le temps, mais jamais sous la même forme est devenu une règle à laquelle plus aucune marque de Kbeauty ne déroge.
3 – Vous aimez les dramas ? Vous aimez la Kpop ? Vous allez adorer la Kbeauty : L’art du placement de produit
Le véritable tour de force des marques de cosmétiques coréennes est de s’associer de façon incongrue, voire agressive, à ce que la Corée a bien voulu exporter de sa culture populaire et au succès fulgurant rencontré en Occident, par la musique et les séries locales. Si le concept de placement de produit n’est pas nouveau en communication, là encore, la Corée du Sud semble en avoir redéfini les contours, floutant les lignes entre l’engouement suscité par les arts coréens populaires et la cosmétique qui s’y associe désormais sans rougir et surtout, sans aucune subtilité. Elevant au rang d’art précis la PPL (placement de produit), nommée en Corée 간접광고 (publicité indirecte).
En 2014, le personnage principal du Kdrama My Love from the Star vante sans vergogne les mérites de la marque IOPE et de son fond de teint cushion. L’utilisation du produit est littéralement intégrée au scénario de façon grossière et incongrue. L’impact de cette « publicité indirecte» est considérable et surtout presque instantané. Après la diffusion de My Love From the Stars, les ventes des produits IOPE, en particulier des fameux cushions, ont explosé. En 2014, AmorePacific, société mère d’IOPE, a vendu 26 millions d’unités du produit, représentant environ 10 % de ses ventes totales cette année-là. Ce placement a non seulement renforcé la notoriété de la marque IOPE, mais a également établi le fond de teint cushion comme un produit incontournable dans le secteur de la Kbeauty. Suite à la diffusion du drama, IOPE a continué à bénéficier d’une augmentation de sa popularité et de ses ventes, consolidant sa position sur le marché des cosmétiques coréens. Les ventes de cushions ont généré 13,6 % du chiffre d’affaires total d’IOPE, qui se sont élevé à environ 3,98 milliards de dollars en 2014. Le succès de My Love from the Star a permis à IOPE de se démarquer dans un secteur extrêmement concurrentiel et a contribué à l’engouement général pour les produits Kbeauty à l’international. Si le prix de cette opération financière n’a pas été révélé, il ne fait aucun doute qu’elle s’est avérée fructueuse et juteuse pour l’entreprise.
Ce modèle, reproductible à l’infini sur tous les supports qu’exporte la Corée du Sud devenu une véritable marque de fabrique en soi, semble représenter un levier de communication central dans la stratégie des marques. Tout ce que le pays exporte se verra associé tel ou tel produit, telle ou telle marque de Kbeauty et ressurgira, par ruissellement, sur l’image que renvoie la Corée au monde. Sur son tourisme, sa réputation, son industrie, son alimentation. Un exemple quasi parfait de National-Branding, où rien n’est laissé au hasard.
En conclusion, c’est à une mécanique bien huilée d’occupation de tous les espaces, tous les supports, consistante, sans finesse particulière mais très confiante de l’influence considérable de la culture populaire coréenne que les marques de Kbeauty doivent leur succès. La leçon qu’inflige aujourd’hui la Corée au reste du monde est tout simplement liée à une stratégie horizontale (et non verticale) de communication sur tous les leviers en simultané. Une vague écrasante de succès qui emporte sur son passage les méthodes traditionnelles et qui rejaillit sur l’image même du pays à l’international… A moins que ce ne soit l’inverse. Car au fond, lorsqu’on achète un produit de Kbeauty, ne le fait-on pas aussi un peu parce qu’il est coréen ?
Melissa Krazem
Sources :
NellyRodi : https://nellyrodi.com/tiktok-beauty-trends-septembre-2023/#
Amore Pacific chiffres de 2014 : https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/08956308.2016.1185340#d1e115
Polémique sur les PPL coréens : https://creatrip.com/fr/news/10066
La force des campagnes d’influence coréennes : https://inquivix.com/korean-marketing-strategies-for-skincare-products/#:~:text=One%20key%20strategy%20that%20South,with%20another%20crucial%20tactic%3A%20innovation.
Straits Research : https://straitsresearch.com/report/k-beauty-products-market
Chiffre d’affaire de la Kbeauty en 2022 : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2024/01/24/l-industrie-coreenne-des-cosmetiques-ou-comment-la-k-beauty-tente-de-conquerir-le-monde
Réseaux sociaux en France en 2024 : https://www.awitec.fr/blog/reseaux-sociaux-en-france-en-usages-chiffres-cles-et-tendances/
Tout savoir sur l’Hallyu : https://www.planete-coree.com/coree-du-sud-normes-culturelles-mondiale/
KPop et Kbeauty : https://empresskorea.com/fr/blogs/empresskorea-nouvelles/linfluence-phenomenale-de-la-k-pop-sur-lindustrie-de-la-beaute-coreenne