Les Millennials et la génération Z sont à l’origine en grande partie des changements, amenant de nouveaux modes de consommation, habitudes et goûts. D’ici 2025, les millenials représenteront 45% des clients du luxe (étude Bain&Company). Les points de contact entre les marques et les clients se multiplient dans le monde réel comme virtuel. Pour garder cette génération aussi captive et fidèle aux marques de luxe qu’elle peut l’être à Netflix ou Instagram, il ne faut pas seulement préserver l’excellence du savoir-faire, mais innover !
« C’est sur le front digital que se construit l’image et que se recrutent les clients Millenials »
Toni Belloni, DG délégué du Groupe LVMH
Louis Vuitton a présenté à VivaTech 2019 un sac à main connecté intégrant des écrans flexibles, issus d’une technologie récente auparavant réservée aux smartphones dernières générations.
La maison a été l’une des premières à innover en faisant appel à une personne virtuelle comme ambassadeur avec Lightning, l’héroïne du jeu vidéo japonais Final Fantasy en 2014. D’autres Maisons ont suivi cette année en faisant appel à des influenceurs virtuels pour promouvoir leurs produits, comme Prada avec Lil Miquela. Cartier et Piaget ont été l’une des premières Maisons de Joaillerie/Horlogerie a proposer son e-shop, les plus grosses pièces restant uniquement disponibles en boutique. Enfin n’oublions pas le défilé Ralph Lauren de 2010 à Central Park projeté en 3D sur un bâtiment qui avait fait sensation à l’époque.
Chez les Maisons qui ont préféré se concentrer sur une stratégie en boutique nous retrouvons Hermès, qui a remis à jour son site en 2018 seulement, après des années sans avoir touché à son ergonomie. La Maison a commencé à densifier sa stratégie de contenus en ligne en 2018 également, prouvant une volonté marquée de s’ancrer dans le digital depuis une petite année. Ce qui ne l’empêche pas d’être une des plus grandes Maisons au monde en termes d’image et de chiffre d’affaires. C’est là toute la complexité pour le Luxe de comprendre son intérêt dans le digital.
Aujourd’hui, après une phase d’apprentissage, la maîtrise du marketing digital et les moyens considérables qu’ils y consacrent permettent aux géants du luxe de creuser l’écart dans la course à la séduction des jeunes consommateurs. Kering a révélé que le digital comptait pour plus de la moitié du budget de communication de Gucci, au lieu de 20% il y a seulement trois ans. La griffe florentine, qui signe la plus forte croissance du luxe, a enregistré en 2018 le meilleur score en terme d’impact sur les réseaux sociaux, selon le cabinet Tribe Dynamics.
Le changement de paradigme auquel on assiste est bien là, les marques de luxe évoluent dans un univers très codifié et particulièrement exigeant, et se doivent donc de proposer des expériences à la hauteur des attentes qu’elles suscitent.
Les nouvelles générations défient les stéréotypes.
Les Millennials sont les moteurs de la croissance du luxe (avec les consommateurs chinois) et il est logique que les maisons leur prêtent une attention toute particulière. D’après le rapport The True Luxury Global, ces deux profils tireront en effet la croissance du marché d’ici 2024, à hauteur de 130% pour les Millennials et 70% pour les Chinois. La dernière étude BCG-Altagamma ajoute de l’optimisme à ces prévisions : la génération Y serait désormais le groupe le plus fidèle, contrairement à ce que l’on pensait jusqu’ici.
Extravagance et plaisir, les millenials veulent être uniques. L’étude du BCG note la montée du « mix and match » alternant ente des achats de marques de luxe et de marques plus accessibles, pour créer leur propre style. Par ailleurs, les millennials pratiquent davantage que leurs aînés le concept de « trading up » et « traiding down », c’est-à-dire qu’ils consacrent l’essentiel de leur pouvoir d’achat aux catégories auxquelles ils attachent de l’importance, n’hésitant pas à y acheter les produits les plus chers du marché, et compensent en réduisant les dépenses dans d’autres catégories moins prioritaires dans l’échelle de leurs préférences personnelles.
Côté investissements, c’est l’explosion des coûts marketing et communication pour toucher et fidéliser les clients du luxe. Zenith annonce ainsi une croissance de 2,4% des investissements publicitaires pour les acteurs du luxe en 2018 et de 2,8% en 2019. Cependant à y regarder de plus près, les générations Y et Z auraient une approche des marques plus traditionnelle qu’il n’y paraît. Selon Bain & Company, les Z sont moins sensibles au marketing et moins fascinés par la technologie que leurs prédécesseurs. Un indice : leur fréquentation des réseaux sociaux. 34 % des 18-24 ans américains auraient déjà quitté les réseaux sociaux et 58 % souhaitent s’en détacher.
Les Z diffèrent des Y :
S’il est couramment admis que les Millennials privilégient les expériences par rapport à la possession de produits, la Genération Z est dans une logique différente. « Ils vont apprécier des marques qui ont du sens, même si elles sont chères », souligne Lesley Bielby. Le rapport Cassandra, qui observe ces tendances, estime que 60 % des Z préfèreraient acheter un produit plutôt que vivre une expérience, alors que la proportion est inverse pour les Y. Habitué à se mettre en scène auprès de sa communauté, les Z deviennent célèbres le temps de quelques likes et utilisent la marque de luxe pour promouvoir sa propre identité auprès de ses pairs.
D’après les professionnels interrogés par l’Ifop, les marques préférées de la génération Z sont : Gucci, Louis Vuitton et Supreme. Toutes mixent deux composantes : la culture de la « hype » et de grosses annonces sur leurs engagements environnementaux et sociaux. De son côté, l’analyste Piper Jaffray a interrogé 600 adolescents américains et identifié Michael Kors, Kate Spade et Coach comme les marques premium les plus appréciées.
D’autre part, Louis Vuitton de son côté casse les codes en se rapprochant de la marque japonaise de streetwear Fragment ouvrant la marque sur de nouvelles valeurs plus « cool ». Autre exemple de Fendi qui s’associe à Fila, pour créer une gamme de produits en édition limitée.
« Je pense que leur appétit pour les marques de luxe sera plus grand que celui de leurs ainés »
Jeff Fromm
Shoppers : Attentes, croyances, valeurs
Une expérience plus fluide ATAWAD
Les Maisons de Luxe doivent donc fournir une expérience en ligne significative pour que les clients aient envie de venir en boutique voir le produit, le toucher, l’essayer. Car dans les moeurs, difficile encore aujourd’hui d’acheter un sac à main à 6000€ en ligne, même si le site est sécurisé.
C’est là qu’interviennent tous les outils et services qu’ont les marques à leur disposition pour proposer une belle expérience au client avant qu’il ne vienne acheter en boutique : applications avec réalité augmentée, site (e-commerce ou institutionnel) bien pensé avec des fiches articles proposant une vision à 360° du produit, un service de chat en temps réel ou de conciergerie pour répondre aux questions des clients…
Ce que demandent les clients d’une manière générale, c’est l’omnicanalité, or plus le prix des produits augmente, plus le Luxe a du mal à proposer une stratégie ATAWAD « anytime, anywhere, any device ».
Cette stratégie, pourtant aujourd’hui très facile à mettre en place, tient en en 5 points :
- La disponibilité des produits en ligne ou en magasin en temps réel
- La livraison à domicile et le « Click & Collect »
- Le retour produit en magasin
- Un programme de fidélité intégré (ou inscription à un « club »)
- Un service après-vente en temps réel
Être ou ne pas être omnicanal ?
Lorsqu’il s’agit d’adopter une stratégie omnicanale (présence sur tous les points de contacts, de la recherche sur le smartphone à la visite en magasin en passant par l’achat sur un site e-commerce), les acteurs du luxe craignent de se galvauder en empruntant les méthodes du mass market. Mais l’alternative, c’est de privilégier la relation traditionnelle en point de vente, au risque de se couper de l’innovation. Pour mieux répondre à ce dilemme, Strategy&, l’entité conseil en stratégie du cabinet PwC, a réalisé une étude de marché auprès de plus de 100 marques : 66 dans la mode et les accessoires, 21 dans l’horlogerie-bijouterie, 17 dans les parfums et cosmétiques. 35 d’entre elles appartenaient au segment « ultra haut de gamme », 37 au « super premium », et 32 à la catégorie « aspirationnelles ». Leur niveau de maturité omnicanale était mesuré sur tout le parcours client : recherche sur internet, achat, livraison, service client.
Premier enseignement : malgré leur niveau de prix et la force de leur image, les marques de luxe doivent encore progresser en termes de niveau de services. Le taux de performance sur des points clés du parcours client n’est que de 41,3 % pour « l’ultra haut de gamme » contre 61,1 % pour le mass market (46,5% pour le « super premium », 54,1% pour les « aspirationnelles »). L’horlogerie-bijouterie est la catégorie la moins performante avec 33,7 % (54,4% pour la mode et accessoires et 48,1% pour les cosmétiques).
Sur la livraison en particulier, de nombreuses marques ne pratiquent pas le « click & collect » et font payer les frais d’envoi, ce qui crée de la frustration chez les consommateurs. Sur ce critère, le taux de performance des marques de luxe est de 36,6 % vs 60,1 % pour le mass market. Sur l’étape d’achat, le luxe est plus mature dans les services d’emballage proposés : packaging élaboré, fourniture d’échantillons… Mais la grande consommation est plus avancée sur la praticité avec des applications transactionnelles, la diversité des options de paiement et l’existence d’un historique d’achat.
En termes de recherches sur internet, les réseaux sociaux sont encore trop souvent utilisés comme une vitrine et pas assez comme un canal de vente. En matière de service après-vente, la grande consommation offre une expérience plus fluide, avec la possibilité de retourner les produits et d’intégrer un programme de fidélité.
Du ‘storytelling’ au ‘storyproving’
En attente de qualité, de durabilité et d’une valeur d’usage encore supérieure vis-à-vis des produits et services qu’ils achètent, les Millenials sont en effet en quête de sens et se tournent naturellement vers des marques aux partis pris forts répondant à un véritable brand purpose. « Leurs caractéristiques ? nous dit Pascale Brousse, une vraie reason-why et pas de bla-bla marketing. Les millenials, ou « génération #NoBullshit », en ont plus qu’assez des discours éculés et sonnant faux des marques. Ils se tournent vers celles qui racontent une histoire vraie avec du coeur et du sens, qui ouvrent le dialogue avec leurs fondateurs et leur réseau : l’humain, les personnes avant la marque. C’est le passage du product centric marketing au human centric marketing ».
« Le sens prime le produit. »
Pascale Brousse
Le luxe ne peut donc plus se passer d’éthique et de responsabilité durable et sociale.
Pour vivre une belle expérience, les consommateurs exigent des nouvelles valeurs d’éthique et de développement durable auprès des entreprises de luxe. Un engagement moral en quelque sorte. Pour Antoinette Lemens, PDG de Lemensearch : « On achète un produit de luxe non pas pour sa fonctionnalité, mais pour le lien émotionnel qu’on construit avec » Les clients deviennent intransigeants sur les sujets sensibles, qu’ils concernent l’éthique sociale (travail des enfants et des minorités), la protection des animaux ou l’environnement (matériaux, transport, traçabilité…).
Une précédente étude du BCG souligne l’émergence d’un nouveau profil de consommateurs de luxe : les Social Wearer. Ces jeunes consommateurs, dont le nombre a doublé en cinq ans, privilégient l’éthique et l’environnemental dans leur relation aux marques de luxe. Il s’agit donc non plus de communiquer uniquement sur le produit fini, mais aussi sur sa fabrication et d’une manière globale, sur la vie de l’entreprise. La garantie que le produit porte en lui une belle et vraie histoire, de sa fabrication à sa mise sur le marché, est indispensable. L’histoire ne peut plus être apposée sur le produit. Elle doit être intrinsèque au produit et à la vie de l’entreprise explique Julie El Ghouzzi, directrice du Centre du luxe et de la création.
« La belle histoire se construit donc de la fabrication au magasin, et il ne doit y avoir de faille nulle part ».
Julie El Ghouzzi directrice du Centre du luxe et de la création
La relation émotionnelle et l’expérience sont donc probablement devenues aujourd’hui aussi importantes que le produit.
Le prix ou plutôt la cohérence entre le prix et la valeur perçue devient aussi un critère qui pourrait toucher de façon négative le luxe traditionnel, surtout quand on voit la croissance des prix des produits de luxe « iconiques » : +55% en six ans pour les sacs à main contre +18% pour l’inflation. Les consommateurs perçoivent de plus en plus ce hiatus entre le prix et la valeur perçue des produits du luxe. Les marques devraient orienter leur politique de prix et passer « D’une économie de l’offre pour aller vers une économie partagée reflétant mieux le degré de perception par les acheteurs de la qualité des produits ou services et de leur incarnation dans le prix » conseille l’étude BCG.
Les consommateurs ont déjà trouvé des alternatives : l’occasion (comme Vestiaire collective le leader européen ou la location (Panoply) qui se développent mais aussi, à l’opposé, le sur-mesure comme preuve d’exclusivité (comme le propose le Bon Marché)
Un Luxe plus près de ses clients
La voix se démocratisant de plus en plus au profit des messages vocaux, de l’utilisation d’Alexa ou Siri pour commander un VTC ou faire une recherche Google, les maison de luxe s’emparent du podcast popularisé dans les années 2000, permettant grâce à ce format de créer des valeurs qui leurs manquent : l’émotion et l’intimité. Guerlain avec l’application « Olfaplay » permet d’écouter des podcasts sur des expériences olfactives ou des parfums de la Maison. Elle donne l’opportunité à chacun des membres de sa communauté d’avoir à portée de main, à tout moment et n’importe où, une multitude d’histoires olfactives à écouter. Parmi les récits, Thierry Wasser, Parfumeur de la Maison Guerlain, confie ses secrets de nez.
Hermès lançait le sien en février, une série audio de neuf épisodes autour de son adresse mythique du 24, rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris. « Un lieu bouillonnant, vivant et rempli d’histoires », dans lequel, « à chacun de ses étages, une conversation s’engage ».
Entre traditions & innovations
S’engager, engager, décrypter les nouvelles générations de consommateurs : les maisons poursuivent leur quête vers un luxe différent, à la fois plus interactif et plus vrai. Les Grands Magasins, marques de luxe, service marketing ont tout à fait compris l’ambivalence des sentiments qui anime la jeune génération. Aujourd’hui les marques qui avouent une certaine vulnérabilité et qui intègrent la critique sont celles qui fonctionnent le mieux », Le NOW, l’instant présent doit conduire les marques à cibler leur communication opportune et réactive (le bon moment, le bon endroit, le bon sujet); le CARE, doit alerter les marques sur leur responsabilité et leur engagement sociétal ; le CLAN, doit les amener à prendre en compte leur puissance d’interaction avec leurs pairs et leur capacité à faire du « bad buzz » comme du « good buzz ».
Il s’agirait donc de revenir aux fondamentaux du luxe : la tradition, son savoir-faire artisanal souvent local et le style unique du créateur, d’où il ressortira une communication authentique, qui crée du sens et de l’émotion et qui est fondée sur ses valeurs, éviter d’être « gimmick » mais plutôt produire des contenus de qualité qui positionneront les marques de luxe comme véritable agents culturels.
En matière d’expérience qu’elle soit digitale ou physique, là encore, il s’agit de bon sens que ce soit pour cette génération comme pour n’importe quelle autre d’ailleurs, il faut se mettre à la place du client pour comprendre ses attentes, être à l’écoute, mais aussi anticiper ses besoins et la surprendre et ainsi donner du sens à la relation client, créer du lien et de la socialisation par-delà les réseaux sociaux, c’est-à-dire dans la vraie vie, là où cette expérience se vit, avec ses rituels de vente ou de services, au travers des différents points de contact.
Sources : Le Luxe est vivant – Luxury Society – LinkedIn – l’ADN –