Il y a trois mois, aucun d’entre nous n’aurait imaginé que l’économie connaîtrait une chute aussi brutale et que des pans entiers de la richesse nationale se trouverait à l’arrêt complet. Alors qu’à travers des plans de relance massifs, le gouvernement tente tant bien que mal d’éviter un naufrage complet. Selon des informations dévoilées par le Figaro début juin, face à l’urgence économique induite par la crise sanitaire du Covid-19, la réforme de l’audiovisuel qui était en préparation depuis plus de deux ans et qui aurait dû être examinée à l’Assemblée Nationale dès le 31 mars dernier, n’est “plus une priorité” et ne devrait donc pas être discutée. Cette réforme qui a pour objectif de réaffirmer la souveraineté culturelle de la France à l’ère du digital, et qui est qualifiée par beaucoup de “big bang”, introduisait des sujets brûlants tels que l’obligation de financement de la création française par les plateformes de SVOD internationales, la suppression du signal hertzien de France 4 et France Ô au profit de formats numériques, la création d’une holding publique commune à France Télévisions, Radio France et France Médias Monde, la lever de l’interdiction de certains jours de cinéma à la télévision, mais surtout l’arrivée tant attendue de la publicité télé segmentée.
Assiste-t-on pour autant à une mort de la réforme de l’audiovisuel ?
Non, loin de là. La loi audiovisuelle va être redécoupée et comme annoncé par le Premier ministre lors d’une réunion à Matignon mi-juin, avec les patrons de l’audiovisuel, le décret relatif à la publicité segmentée devrait être publié en juillet prochain.
Une annonce qui apparaît comme un soulagement pour l’ensemble de la chaîne de valeur, annonceurs et régies publicitaires qui déjà fortement concurrencés par les Gafa avant la crise du Covid-19, ont désormais plus que jamais besoin de restaurer leurs marges.
Mais en quoi la publicité télé segmentée leur permettrait-elle de parvenir à de tels résultats ?
La publicité télé segmentée limite le gaspillage, en découle un ROI supérieur
À l’heure où pertinence est le mot d’ordre, grâce à la publicité segmentée, la télévision aussi se réinvente peu à peu. Et, le ciblage régional, sociodémographique ou même comportemental qu’elle implique permet aux annonceurs de limiter le gaspillage. En effet, une entreprise qui a recours à la publicité segmentée achète un espace publicitaire beaucoup plus restreint que celui des campagnes de publicité télé traditionnelle. Ce ciblage plus précis implique moins de déprédation dans la mesure ou seul sont visés les individus qui font partie du groupe cible, les autres ne le sont pas. Ainsi, chaque euro dépensé est investi dans la cible, il n’y a pas de perte.
Cette limitation du gaspillage publicitaire permet également d’obtenir de meilleurs retours sur investissement (ROI) dans la mesure où une publicité mieux ciblée entraînera un taux de conversion beaucoup plus important. Ainsi, selon une étude Nielsen publiée en 2016, une publicité pertinente a beaucoup plus de chance d’engager le consommateur et de générer des émotions. S’ensuit une augmentation de 23 % des ventes, pour les marques ayant générées des émotions supérieures à la moyenne.
Selon le Video Advertising Bureau (VAB), en 2018, 65% des annonceurs classaient la précision de ciblage parmi les principaux avantages de la publicité segmentée. 50% d’entre eux énuméraient l’élimination du gaspillage lors de l’achat télé et 49% énonçaient un meilleur ROI.
La publicité télé segmentée permet une meilleure personnalisation des stratégies publicitaires
L’utilisation de la data permet aux marques de diversifier leurs approches publicitaires et ainsi éviter l’effet de saturation lié à la diffusion trop répétitive de certaines campagnes télé. Elles peuvent par exemple se servir des économies réalisées sur leurs campagnes de publicités ciblées pour tourner plusieurs spots au lieu d’un seul. Elles pourront de ce fait faire la promotion de plus de produits ou services, et même développer des possibilités de storytelling. À titre d’exemple, l’offre M6 Adressable, disponible sur le service replay du groupe, permet d’envoyer un format “recall” différent de la création originale aux individus ayant déjà été exposés à une annonce publicitaire. Ceci s’est traduit par une augmentation de 12% de la mémorisation des spots.
La publicité segmentée est plus compétitive et offre aux marques un meilleur ROI que Facebook ou YouTube
Les annonceurs cherchent en permanence à placer leurs marques sous le feu des projecteurs et pour se faire, ils peuvent recourir à plusieurs formats. Parmi ceux les plus en vogue, figure le display vidéo qui selon l’Observatoire de l’e-pub 2019, représente à lui seul, 42% du poids du segment display. Souvent choisis comme solutions rapides, simples et bon marché, Facebook et YouTube en sont d’ailleurs les chefs d‘orchestre, et de nombreux annonceurs ne jurent que par ces mastodontes. Mais de nouvelles recherches publiées en 2019 par les instituts danois Egtabite et TV2 démontrent qu’à long terme, Facebook et YouTube offrent un ROI bien inférieur à celui de la publicité segmentée. En effet, selon cette étude, du fait d’un taux de complétion des spots 20 fois inférieurs à celui de la publicité segmentée, couplé à des vidéos de moins bonnes qualités, et des écrans souvent plus petits, Facebook et YouTube sont tout simplement moins efficients.
À titre d’exemple, au Danemark, le prix de départ de la télévision adressable est plus du double de celui de la télévision linéaire, 5 à 6 fois plus élevés que celui de Facebook et 2 à 3 fois plus élevés que celui de la vidéo sur YouTube. Même si Facebook a un CPM beaucoup moins élevé, le faible taux de complétion des spots ainsi que le faible impact des campagnes vidéos, le renchérissent. Toutefois, il est important de faire apparaître une série de points autour de la publicité ciblée. L’un des plus grands obstacles dissuadant les annonceurs d’investir est son coût. En effet, comme de nombreux autres outils marketing ciblés, la publicité segmentée a à première vue un CPM plus élevé. Mais comparé aux médias traditionnels, elle génère un meilleur « CPM effectif ». Ce n’est donc pas le prix effectif, mais bien sa perception qui joue au détriment de son adoption.
Une tendance similaire est observée au Royaume-Uni, où les annonceurs sont de plus en plus attentifs aux ROI des campagnes publicitaires sur Facebook et YouTube. Ce constat conduit de plus en plus d’entre eux à réallouer leur budget Facebook vers la publicité segmentée. Ainsi, d’après une étude d’eMarketer, bien qu’il continue d’afficher une croissance colossale, le budget publicitaire allouer à Facebook est passé d’un taux de croissance de 27,9% en 2018, soit 2,88 milliards de livres sterling, à une croissance estimait à 23,5% en 2019, soit 3,47 milliards de livres sterling. Le budget alloué à la télévision est quant à lui largement supérieur et en légère croissance (+1%) en 2019, soit 4,4 milliards de livres sterling. Cette réallocation budgétaire s’explique majoritairement par le fait qu’à l’image du digital, la publicité segmentée offre aux annonceurs la possibilité de toucher avec précision une cible donnée, bénéficie d’un très bon taux de complétion des spots et surtout à l’avantage d’offrir un cadre sécurisé, c’est-à-dire, de la “brand safety”. À l’inverse, le display vidéo sur des plateformes digitales telles que YouTube ou Facebook a été l’objet de nombreux scandales. Parmi eux, la diffusion en pre-roll d’une campagne de Proctor & Gamble ainsi que Toyota avant un contenu pour l’État islamique. La publicité télé se veut quant à elle plus rassurante pour les marques dans la mesure où elle est protégée par des organismes tel que l’ARPP ou le CSA.
La publicité télé segmentée permet de mesurer plus efficacement le retour sur investissement des campagnes publicitaires
La mesure du ROI d’une campagne publicitaire télévisée a toujours été une science inexacte qui soulève un léger malaise. D’un côté, les audiences Médiamétrie permettent aux annonceurs de bénéficier d’une estimation du volume de téléspectateurs d’un programme et donc éventuellement du nombre de personnes impactées par un spot publicitaire. De l’autre, le Gross Rating Point (GRP), c’est-à-dire le nombre de contacts obtenus sur 100 individus ciblés, leur permet de connaître la pression publicitaire sur cible. Ainsi, une campagne diffusée lors d’un programme à forte audience et qui aurait au moins 70 % de couverture et un taux de répétition compris entre 3 et 5 serait considérée comme efficace. Mais l’annonceur connaît-il avec précision qui se trouve derrière l’écran ? Est-il sûr d’avoir atteint sa cible ? Ne bénéficie-t-il pas au contraire d’indicateurs statistiques, mesurant une couverture estimative ? Il est clair que comparer aux publicités digitales ou la data est reine, la télé souffre d’un manque cruel de métriques permettant de mesurer ses performances.
À l’inverse, avec la publicité segmentée, la first party data détenue par l’annonceur ainsi que la second-party et la third-party data recueillies respectivement via les boxes internet et les données de panel Médiamétrie permettent de quantifier beaucoup plus aisément l’impact d’une campagne. La corrélation entre exposition et effet généré par la campagne est ainsi plus facile à établir. Le reach, la notoriété, le taux de conversion et donc le ROI des campagnes télé segmentée sont donc plus facilement mesurable.
La publicité télé segmentée ouvre la voie à de nouveaux KPI
Alors que des entreprises comme Realytics proposent déjà des solutions de “drive-to-web », c’est-à-dire des outils qui permettent d’analyser l’impact d’une campagne télé sur le trafic d’un site ou d’une application mobile. La publicité segmentée ouvre la voie à des KPI digitaux tels que l’acquittement de chaque impression publicitaire et le taux de complétion des spots. Ainsi, dans le cadre d’une campagne réalisée pour Monoprix l’été 2017, Next Régie a utilisé ces KPI pour diffuser 27 copies publicitaires différentes à destination de 27 zones de chalandises différentes pour pousser une promotion en point de vente.
Lors de l’adoption prochain du décret sur la publicité segmentée, les spots adressés seront vendus au CPM effectif, selon le nombre d’impressions, en fonction de la granularité du ciblage et via des plateformes d’ad serving.
Ceci, permettra à la publicité segmentée de bénéficier de KPI aussi efficients que son homologue digital.
Références bibliographiques
SBS, Addressable TV en Flandres : feuille de route, whitepaper, 2019
Video Advertising Bureau (VAB), A Marketer’s Guide 2019, Address for success, How Addressable TV Delivers a Full-Funnel
23éme édition de l’Observatoire de l’e-pub, SRI, l’UDECAM et Oliver Wyman
https://digiday.com/marketing/addressable-tv-budgets-move-away-facebook/
http://www.egta.com/egta_bites/egta_bites_256_12042019/index.html
https://www.e-marketing.fr/Thematique/media-1093/Breves/Publicite-television-prete-segment-326337.htm#
https://www.experian.com/assets/marketing-services/white-papers/audience-iq-addressable-tv-wp.pdf
https://www.invidi.com/news/how-using-addressable-tv-can-reduce-repetitive-ads/
https://www.lefigaro.fr/medias/audiovisuel-pas-de-loi-mais-des-mesures-d-urgence-20200607
https://liveramp.fr/blog/les-avantages-offerts-par-laddressable-tv-et-lutilisation-de-data/
https://www.petitweb.fr/jardins-ouverts-jardins-clos/la-deuxieme-grande-bascule-la-tv-adressee/
https://www.strategies.fr/actualites/medias/4046233W/liveramp-prepare-l-arrivee-de-la-publicite-segmentee.html
https://www.sudouest.fr/2020/06/08/la-reforme-de-l-audiovisuel-public-va-t-elle-voir-le-jour-7548081-10228.php
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