La mutation profonde qui s’annonce pour le secteur de la publicité en ligne ne fait pas que des chanceux, bien au contraire ! Avec la mort annoncée du cookie tiers, précipitée par l’annonce de Google (de supprimer ces fichiers texte d’ici 2 ans) mais aussi le renforcement du RGPD, les éditeurs ont vu leurs inquiétudes exacerbées par la perte éventuelle de leurs revenus publicitaires. En effet, leur business modèle, essentiellement basé sur la monétisation de leur audience, est considérablement menacée. Et pour ne rien arranger, la crise actuelle du COVID-19 a également affecté leurs recettes publicitaires avec des annonceurs qui ont préféré geler leurs investissements. Pourtant, les éditeurs auront un rôle plus important à jouer désormais dans le nouvel écosystème qui se dessine. L’avenir est donc moins sombre qu’il n’y paraît.
D’après Google, les publishers pourraient perdre jusqu’à 52% de leur chiffre d’affaires suite à la disparition des cookies tiers. En effet, le géant de Montain View a estimé que la capacité d’identifier les utilisateurs représente 50 à 60% des revenus publicitaires des éditeurs. Par ailleurs, malgré un record d’audience, ils essuient déjà des pertes dues à la baisse des investissements publicitaires dans le contexte actuel de crise sanitaire. Cette chute des recettes atteindrait même 30% sur toute l’année 2020. Serait-ce donc la malédiction de l’éditeur qui se matérialise dans notre futur sans cookie ? Pas si sûr.
#Le cookie est mort, vive le cookie !
Il est important à ce stade de rappeler que le cookie, dans sa forme la plus « primaire » sera toujours là. Il s’agit bien sûr du cookie 1rst party (les données propriétaires) qui ont une durée de vie plus longue, sont acceptés par les adbloqueurs et tous les navigateurs, en plus d’autres avantages. Et ça, c’est de l’or ! Comme le souligne Jonathan Thabot, Sales Director de la régie Permutive, « plutôt que de pleurer la fin des cookies tiers, les éditeurs ont là une occasion en or de repenser les technologies publicitaires pour faire des données 1st party la nouvelle monnaie d’échange et réinventer l’écosystème ». On peut donc prédire que le futur monde cookiless fera la part belle aux données propriétaires, à condition que les éditeurs fassent les efforts nécessaires en termes de ciblage et d’engagement grâce à une bonne segmentation, un environnement RGPD friendly, une bonne mesure cross-canal etc. C’est d’ailleurs ce qu’indique une récente étude de l’IAB sur l’importance grandissante des données 1rst party dans les services marketing.
Il faut également être conscient qu’avec le RGPD, le nombre de données tierces disponibles devrait aller en se réduisant. C’est donc l’occasion idéale de valoriser la data 1rst, plus qualitative et contextualisée. Ainsi, certains éditeurs s’intéressent sérieusement au data sharing (partage de données), une façon d’intensifier la puissance de leurs données. Mieux connaître sa cible et anticiper ses besoins en enrichissant ses données avec des entreprises similaires, tel est le défi de cette nouvelle méthode marketing. Attention, là encore, à bien respecter le cadre légal en protégeant l’identité de l’internaute cible.
#L’union (des éditeurs) fait leur force
D’aucuns persistent et signent : la fin des cookies tiers renforce l’hégémonie des GAFA. Ils sont en effet les seuls à regrouper des milliards d’utilisateurs connectés en permanence à leurs plateforme (Gmail / YouTube, Facebook / Whatsapp…). Par ailleurs, leur avance considérable en termes d’intelligence artificielle leur donne la possibilité d’identifier un utilisateur unique sur différents devices. Comment alors leur faire face ? La résistance s’organise en coalition d’éditeurs à la sauce Alliance Gravity, un « collectif » regroupant plus de 250 sites et applications. Leur recette consiste à collecter et unifier « 2 milliards d’événements chaque mois, alimentant 750 segments de ciblage publicitaires », peut-on lire sur leur site internet. Ils s’offriraient ainsi un reach frôlant ceux des GAFA (voir étude ci-dessous), confirmant l’ambition affichée de Fabien Magalon, Directeur Général de la régie. « La motivation des éditeurs à rejoindre Gravity est de participer à un collectif pour mutualiser un certain nombre d’actifs propriétaires et donner naissance à un nouvel actif qui soit compétitif avec ceux des géants transnationaux qui dominent actuellement le marché ».
Des initiatives similaires ont vu le jour dans d’autres pays, à l’instar de Verimi en Allemagne, un géant de l’Ad-tech qui réunit les données de Lufthansa, Allianz, Axel Springer, Samsung, la Deutsche Bank… L’important est ici de prendre conscience qu’une multitude d’alliances ne mènerait logiquement qu’à un affaiblissement face aux GAFA. Peut-être verrons-nous dans un futur proche une seule et unique alliance Européenne ? L’union fait la force, dit-on.
#Récompenser pour mieux pister
Et si l’une des solutions à la fin du cookie était de rémunérer les internautes ? En 2020, l’étude Advertpayment Focus #2 de Kantar montre que 74% des internautes n’y sont pas opposés et sont plus habitués qu’ils ne le pensent à la pub personnalisée. Revenir en arrière serait donc contre-productif… Ainsi est née la régie ViewPay, créatrice du concept de l’Advertpayment. La formule ? Permettre aux internautes d’accéder gratuitement à un service ou des contenus payants (ou réservés aux abonnés) en regardant volontairement une publicité sélectionnée parmi celles de trois annonceurs. L’Advertpayment permet ainsi aux éditeurs de valoriser leurs contenus et d’accéder à de nouvelles sources de revenus publicitaires, tout en respectant le parcours digital des internautes et en valorisant l’annonceur qui devient un sponsor et un allié de sa cible. Selon Marc et Virginie Leprat, à la tête de ViewPay, « l’agrément est très fort vis-à-vis de la marque puisque l’utilisateur choisit lui-même l’annonceur et va être beaucoup plus engagé : le taux moyen d’interaction dans les vidéos sur Internet est compris entre 0,3 et 0,6%. Avec [ce] modèle, c’est entre 3 et 10% ».
Dans la même lignée, nous avons vu naître des start-ups comme Tadata, une application qui propose aux jeunes « datakillers » (nom donné aux inscris sur leur site) une rémunération allant de 3 à 5€ à chaque utilisation de leurs données. La start-up, créée par Alexandre Vanadia et Laurent Pomies, d’anciens communicants, s’adresse aux 15-24 ans et ambitionne de « rétablir une relation d’équilibre entre ces mêmes jeunes et les annonceurs qui s’intéressent à eux ». Une fausse bonne idée selon Serge Abiteboul, directeur de recherche à l’INRIA (Institut National de Recherche en Informatique et Automatique) et spécialiste des données. Ce dernier pointe la complexité de la monétisation d’une donnée personnelle : « Ce qui représente de l’argent, c’est la combinaison de vos données personnelles avec celle des individus qui vous ressemblent. Lorsqu’elles sont rassemblées et triées, elles sont potentiellement précieuses mais à l’échelle individuelle, une donnée personnelle ne représente pas grand-chose et vous rapporterait à peine une dizaine d’euros par an » explique le chercheur au journal Figaro.
Le débat avait pourtant été mis sur la table avec la publication d’un rapport du think tank libéral Génération Libre intitulé « Mes data sont à moi ». L’idée était de créer un droit de propriété sur les données personnelles pour que les internautes aient la possibilité de les vendre aux sociétés qui les utilisent comme Facebook et Google. Il faudra cependant admettre une certaine prise de conscience dans la société moderne qui veut croire à un modèle plus équitable dans la gestion de nos données personnelles. La maturité de la publicité digitale a permis d’affiner le ciblage et les stratégies marketing, mais à un prix que plus personne ne veut payer.
Marie Hélène SYLVA