Pour commencer, expliquons en quelques mots le principe de la gamification (ou de ludification en français) : il est tout simplement de reprendre certains mécanismes du jeu ou plus récemment du jeu vidéo et de les appliquer à des contextes non ludiques tels qu’un site web, une application mobile, ou même à des contextes s’éloignant du marketing et de la vente, comme la santé ou l’apprentissage. Le postulat de base va alors être de s’appuyer sur la prédisposition humaine au jeu afin d’augmenter l’acceptabilité et l’usage de l’activité souhaitée. 6 grandes mécaniques des jeux sont reprises, chacune associée à une dynamique. Le tableau suivant en dresse les dyades.
Gamification
Ces mécanismes vont ainsi être appliqués par les marques afin de rendre l’expérience utilisateur plus ludique. Un exemple qui peut parler à tout le milieu professionnel se trouve sur Linkedin : en allant sur votre profil, vous pouvez apercevoir une jauge attestant de la “force de votre profil”. Cette jauge se remplit au fur et à mesure de vos actions sur le réseau social (ex : complétion du poste, ajout d’une photo de profil…), et des récompenses sont obtenues lors de l’atteinte des différents paliers. C’est un système vraiment malin. Sans cette jauge et ses différents éléments, beaucoup compléteraient probablement moins leur profil. Mais ici, avec une jauge de progression, des paliers et niveaux (allant jusqu’à expert absolu), des objectifs clairs, ainsi que des récompenses facilement compréhensibles et utiles (meilleure place dans les résultats de recherche, davantage d’opportunités…), une certaine motivation émerge. Jauge de progression, paliers et niveaux, récompenses, objectifs… Aussi étrange que cela puisse paraître, nous parlons bien de LinkedIn, pas de Final Fantasy ou de Dofus. Du côté du réseau social, cette gamification n’est pas hasardeuse : avec un business model basé sur ses revenus publicitaires, la plateforme a tout intérêt à voir ses utilisateurs remplir au maximum leurs profils, afin de permettre aux marques un ciblage des plus pertinents et ainsi de mieux vendre ses audiences.
Un autre exemple connu est l’application mobile de navigation GPS en temps réel, Waze. Ainsi, l’application comprend de nombreuses fonctionnalités sociales afin de rendre les trajets, plutôt moroses naturellement, amusants. Comme dans un jeu de type “bac-à-sable” dont l’archétype est Minecraft, les utilisateurs ont la possibilité d’interagir de nombreuses manières avec l’environnement proposé par la carte de l’application, en indiquant par exemple les zones où le trafic est dense, les accidents, les voitures de police, etc. Si les possibilités sont évidemment bien plus limitées que dans Minecraft, l’idée reste finalement la même : proposer une zone interactive où les actions des joueurs/conducteurs ont un impact sur cette dernière. Mais l’application ne s’arrête pas là et propose d’autres aspects de la gamification. Personnalisation de l’avatar, attribution d’un grade (de Bébé Wazer à Wazer Royal en passant par Chevalier Wazer) qui varie selon le nombre de kilomètre effectué, et l’aide apportée aux autres “Wazers”, mais aussi « réalisations » qui représentent des succès à compléter (avoir 5 amis sur Waze, rouler un certain nombre de kilomètres…), autant de mécanismes qui répondent à des objectifs business coté Waze : efficacité de l’application, attirance de nouveaux utilisateurs, revenus publicitaires.
De nombreuses autres marques pourraient être citées ici (BlaBlaCar ou TripAdVisor par exemple), mais finalement les pratiques restent relativement semblables d’une enseigne à l’autre. Ainsi, intéressons-nous désormais à un autre phénomène parent de la gamification : l’advergame.
Advergame
Mot valise formé à partir de “advertising” et “game”, un advergame est tout simplement un jeu publicitaire. Offert par les marques aux prospects ou aux consommateurs, ses buts vont être de promouvoir la marque, attirer de nouveaux fidèles, ou encore générer du trafic. Sa démocratisation est étroitement liée à la démocratisation des technologies : ils se sont particulièrement développés à la fin des années 1990, suivant l’évolution du taux d’équipement en ordinateurs des foyers, puis de la même manière à la fin des années 2000, suivant le taux d’équipement en smartphones des individus.
Outre un taux d’équipement en supports en forte progression, d’autres raisons expliquent les prémices de cette tendances : hausse des revenus moyens des joueurs (et donc du potentiel de dépenses du consommateur/prospect), féminisation des populations de joueurs (et donc agrandissement de l’audience de consommateurs/prospects) qui séduisent forcément les marques. Mais la principale explication reste le vieillissement de la population : des prospects ayant grandi avec des jeux vidéo seront bien plus enclins à se laisser entraîner dans un advergame puisqu’il n y aura pas ou peu de barrières à l’entrée : connaissance des mécaniques, des systèmes de progression, des principes de niveaux, des commandes habituellement utilisées par les autres jeux… Les joueurs connaissent déjà tout cela.
Équipe Actimel contre les Mégakrasses
Mais quels intérêts les marques trouvent-elles à développer et proposer des jeux vidéo, certes souvent de qualité passable et relativement court, gratuitement ? Afin d’expliciter les nombreuses réponses, je vais prendre comme exemple un advergame auquel j’ai joué étant petit “Equipe Actimel contre les Mégakrasses”, offert en 2002 pour l’achat d’une boîte d’Actimel, du groupe Danone.
L’intérêt majeur se voit comme le nez au milieu de la figure sur ce visuel : l’advergame sert en premier lieu le branding de la marque et permet de véhiculer tous les messages souhaités. Ici, qu’Actimel va aider celui qui le boit à lutter contre les “Mégakrasses”, qu’on peut associer aux maladies, virus, bactéries néfastes, etc. Le jeu se déroule dans un corps humain, ou le héros d’Actimel, personnification de la marque, va pourchasser et supprimer les Mégakrasses afin de rendre le corps “plus fort”.
Un autre intérêt est le temps d’exposition à la “publicité” : un advergame dure quelques minutes, voire quelques dizaines de minutes (le jeu d’Actimel dure aux environs d’une heure et demi) offrant une vitrine d’exposition qui s’étale dans le temps, là où la publicité traditionnelle ne s’étend souvent pas au-delà quelques secondes. En outre, il y a une dimension de rejouabilité si le jeu est suffisamment ludique : en comparaison, qui regarderait volontairement une publicité télévisée une nouvelle fois (exceptés les férus de la discipline) ?
Mais la véritable force de l’advergame est son interactivité : le prospect/consommateur n’est pas passif, il prend part à une aventure avec sa marque, évolue dans un univers qu’elle a entièrement façonné, joue et consomme/utilise ses produits virtuellement, etc. Dans le jeu d’Actimel, des flacons du précieux liquide étaient par exemple dispersés dans les niveaux, en boire un rendant un cœur de vie.
Un advergame est également une publicité choisie et bien perçue : contrairement à la publicité classique, le prospect/consommateur ne la subit pas, il décide lui-même de se lancer dans l’aventure, poussé par sa curiosité, son envie de jouer. Ainsi, ces advergames laissent de bons souvenirs et sont mieux perçus que la publicité traditionnelle. Une étude menée par Activision et Nielsen révèle que 30% des advergames étaient encore mémorisés un mois après le jeu, et 15% cinq mois plus tard : des chiffres supérieurs à la moyenne des médias. Concernant Actimel, étant proposé à partir de l’année 2002, je m’en suis encore souvenu pour cet article en 2021…soit près de 20 ans plus tard !
Enfin, arrêtons nous quelques instants sur un dernier point intéressant : la viralité, émergente de la gratuité. Distribués en cadeau sans supplément d’achat pour l’achat d’un produit, ou directement via un téléchargement de nos jours, ces jeux ne représentent pas une barrière à l’entrée financière, et peuvent être partagés massivement. Tout le monde peut ainsi être initié à l’univers de la marque, de véritables communautés peuvent se construire. Par exemple, Chex Quest, offert avec l’achat d’un paquet de céréales Chex en 1996 a été distribué à des millions d’enfants aux États-Unis. Une telle communauté de fans s’est forgée que le jeu a eu droit à une version remasterisée en HD en 2019.
On adore tous le jeu, non ?
Une citation de Nietzsche pourrait résumer en quelques mots le succès et la démocratisation de la gamification “Chaque homme cache en lui un enfant qui veut jouer”. Il semblerait que les marques s’en soient rendues compte, elles aussi. Poussée par cette volonté joueuse qui ne disparaît jamais, l’espèce humaine rechigne souvent peu avant de se lancer dans un périple qu’on lui promet comme ludique. Alors quand les marques proposent ce genre de contenu, que ce soit sous la forme d’une aventure vidéoludique, un jeu concours sur les réseaux sociaux, une chasse aux trésor… l’appât du gain (qu’il soit financier avec des récompenses pécuniaires ou matérielles, ou simplement la promesse de quelques minutes divertissantes et agréables), pousse nombre d’entre nous à se laisser prendre au jeu. Dès lors, quelles aubaines pour les marques !