Si apporter une touche de ludique dans les manières de toucher leurs audiences peut représenter l’objectif de certaines marques, d’autres vont davantage chercher à faire passer des messages, à sensibiliser leurs joueurs sur certains sujets. C’est d’abord dans d’autres industries (musicale, cinématographique, littérature, arts en général….) que ces contenus dont l’objectif n’est pas uniquement le divertissement vont apparaître. Avec l’arrivée des jeux vidéo, l’histoire se répète : les possibilités explosent et les façons d’interagir avec son audience se multiplient. Mais avant de nous attaquer au vif du sujet, commençons par regarder ce que font les autres industries.
La sensibilisation par la musique et les films
Dans l’industrie cinématographique,de nombreux films sensibilisateurs existent. Par exemple, les films “catastrophe” où l’histoire prend place dans un monde meurtri par les activités humaines. On observe des réactions de la planète bleue avec des catastrophes naturelles ou humaines qui se succèdent jusqu’à arriver à la quasi-extinction de l’espèce humaine. Deux temporalités coexistent : les films où ces évènements sont le présent et où les héros vont chercher à survivre (ex : 2012, Le jour d’après…), et les films où ces événements sont le passé (La planète des singes, L’armée des 12 singes…). Si c’est bien évidemment pour l’action que sont construits ces films, des messages moralisateurs existent en fil rouge, servant la narration. Dans ces exemples : là où peuvent nous mener la folie humaine, la destruction de la planète…
Dans la musique, ce sont notamment dans les mouvements “rebels” tels que le punk, le reggae ou le rap à leurs époques qu’on peut retrouver de nombreux messages de sensibilisation, chacun ayant ses propres revendications et idéologies. Le mouvement punk revendique notamment la liberté de penser par soi-même, qui, dans l’horizon politique peut se confondre avec un mouvement anarchiste. Le mouvement reggae revendique davantage la rébellion et la libération des consciences alors que le mouvement rap va d’abord être un rap de dénonciation dans le sens où ses interprètes vont mettre en avant les maux de la société tels que les inégalités, la violence, les discriminations, etc.
Ne pouvant profiter que d’un sens chez leurs auditeurs, les artistes musicaux vont avant tout utiliser leurs mots pour toucher les audiences. Si les instruments de musique peuvent faire naître ou accentuer des émotions, ils ne peuvent en revanche faire passer des messages. Ainsi, les mots sont les seules armes des chanteurs (si l’on fait abstraction des concerts évidemment). Si cette unique arme peut sembler insignifiante face à la pléthore de moyens du film ou du jeu vidéo, sa puissance reste pourtant considérable grâce à la répétition : c’est simple comme bonjour : un film dure environ 2 heures, un jeu vidéo dure de quelques heures à quelques centaines d’heures quand une musique dure environ… 3 minutes. Dès lors, la répétition peut rendre les messages bien plus transperçants que n’importe quelle balle.
Sur le sujet de l’écologie, je me souviens notamment d’une chanson m’ayant marqué en 2003 : “Mickey 3D – Respire”. Probablement encore trop petit pour bien comprendre toutes les implications des paroles, certaines m’ont marqué :
“Et tes petits enfants, ils n’auront plus qu’un œil
En plein milieu du front, ils te demanderont
Pourquoi toi, t’en as deux, tu passeras pour un con”
Et alors, dans les jeux vidéo ?
Des exemples simplistes et naïfs…
“Les jeux vidéo peuvent-ils sensibiliser à la cause écologique ?” titre Le Monde lors d’un article publié le 01/04/19 à l’occasion de la réédition de Final Fantasy VII sur la console hybride de Nintendo, la Switch. Le jeu originel, publié en 1997, prend place dans une époque ou la cause écologique n’a pas encore atteint l’essor que l’on connaît aujourd’hui. Pourtant, dès la scène d’introduction, l’un des compagnons du héros lui adresse un mémorable “La planète meurt, Cloud !” avant que la fine équipe (qu’on peut assimiler à un groupe de d’activistes-terroristes écologique) ne fasse exploser une usine de la Shinra Electric Power Company, qu’on pourrait associer à Areva dans la vie réelle, un spécialiste de l’énergie nucléaire. Avalanche, le nom du groupe composé de Cloud et de ses amis n’aura ainsi de cesse de lutter contre la Shinra, l’entité politique régente de la planète, qui tue à petit feu la planète qui accueille l’univers du jeu, Mako, à force d’en extraire ses ressources.
Quelques années plus tard, en 2002, Nintendo lance Super Mario Sunshine sur sa nouvelle monture violette : la GameCube. Si, comme dans tous les opus de la saga, l’objectif final avoué est de sauver la princesse Peach, un petit malin au physique semblable à celui de Mario fera condamné ce dernier à nettoyer toute l’île, infestée de tâches noires ou marrons, facilement associables à du pétrole ou de la boue. Dès lors, nous voilà embarqués dans une aventure aux dizaines d’heures de jeu dans la peau de l’éboueur moustachu.
Ces deux exemples sont cependant restreints. Si l’enjeu écologique est bien au cœur de chacun des univers, il est exposé et combattu de manière trop légère pour réellement sensibiliser les joueurs. Par exemple, les pollueurs sont identifiés dès le début de l’aventure et les vaincre va représenter l’objectif final des héros. Une fois vaincus, le monde est débarrassé de toute la pollution qui le gangrènait. Si les visions sont simplistes et naïves, c’est aussi parce que ces jeux n’ont jamais eu pour ambition de réellement sensibiliser et éduquer les joueurs : les développeurs ont probablement seulement surfé sur une tendance de l’époque, et les histoires et problématiques des héros auraient pu être tout autres.
… qui ne sont pas représentatifs
En revanche, d’autres typologies de jeu tels que les jeux de gestion se sont emparés du problème en profondeur. Étant souvent des simulateurs de la vie réelle, les joueurs, superviseurs de ces univers virtuels, étaient bientôt confrontés aux mêmes situations que leurs homologues humains. Ces jeux, exclusivement distribués sur PC, et destinés à des publics plus matures, vont sensibiliser presque involontairement leurs utilisateurs, puisque ce ne sont pas des sujets que les développeurs vont intégrer selon leurs volontés : ils sont intégrés car les jeux sont des simulateurs réalistes de la vie terrestre !
D’autres, sans se prétendre moralisateurs de quelque façon, vont proposer des univers si particuliers qu’ils ne peuvent que nous faire réagir. La célèbre saga des “Fallout” prend ainsi place dans un univers post-apocalyptique reposant sur une uchronie : notre terre si la guerre froide avait connu une fin moins pacifique. Si le jeu est un RPG et utilise ce monde meurtri par une guerre nucléaire en tant que terrain de jeu, il n’empêche qu’au cours de nos aventures dans cette saga, force est de constater que de nombreux éléments vont dénoncer plus ou moins subtilement la course aux armes nucléaires qui prend place dans la vie réelle. Sans véritablement expliciter le mal impliqué par cette compétition, les développeurs nous mettent davantage face à ses conséquences : quasi-disparition de l’espèce humaine, morcellement de la société, dégradation ou extinction de nos ressources naturelles, de la faune et de la flore, retour à un mode de vie primitif, radiations altérant notre condition humaine… Finalement, on ressort de ces aventures avec un certain confort : on est quand même bien sans armes nucléaires, non ?
Serious game
D’autres créateurs vont prendre un autre parti pris et construire leur jeu, “Bad News” autour d’un objectif de sensibilisation. En 2018, un collectif néerlandais à ainsi décidé de s’attaquer à un problème d’actualité : les fake news. Monté par un collectif de journalistes et universitaires néerlandais, le jeu possède pour objectif avoué d’aider à identifier les fausses informations et à les ignorer. S’il n’a pas l’ambition de divertir le joueur des dizaines d’heures durant, le jeu permet de d’assimiler rapidement les dangers des fake news. Peut-être une bonne idée de le partager à cette tata qui remplit votre fil d’actualité Facebook de théories complotistes.
Dans un autre genre, Reset Earth nous met dans la peau de 3 adolescents en l’an 2084 à travers une course dans le temps. Une maladie – GROW – s’est répandue sur le globe, réduisant l’espérance de vie des humains à moins de 30 ans. L’aventure nous emmène à travers l’histoire, en remontant le temps, afin de trouver les causes de l’apparition de GROW, de comprendre l’importance de la couche d’ozone ou du travail collaboratif humain, et ainsi de suivre nos 3 adolescents jusqu’au “Reset Earth”. Proposé gratuitement par l’UNEP (United Nations Environment Programme), nous plonge, à la manière de Fallout, dans un univers meurtri, mais cette fois avec un objectif de sensibilisation avéré, les scènes didactiques s’incorporant parfaitement entre deux phases plus divertissantes.
Une industrie pas si saine que ça
Enfin, s’ils sont nombreux dans l’industrie du jeu vidéo à tenter de transmettre des messages et des valeurs au sein des aventures proposées, il ne faut pas oublier que c’est un secteur diabolisé, à tort ou à raison, sur de nombreux sujets. Par exemple, sur le sujet écologique, une étude de 2018 avance que le jeu vidéo sur PC nécessite chaque année l’équivalent en énergie de 10 réacteurs nucléaires, simplement pour permettre aux joueurs de se divertir. Si le jeu dématérialisé pourrait à première vue représenter une opportunité environnementales (en supprimant les étapes de création des disques, boîtiers, et de transports), la vérité tend plutôt à une augmentation de la consommation : le jeu dématérialisé passant par des services de streaming et de cloud, eux mêmes passant par des serveurs surpuissants et évidemment énergivores.
Si le désastre écologique que représente le jeu vidéo est régulièrement évoqué, d’autres maux, plus anciens, lui sont également associés : addiction, jeux ultra-violents, perte de contact avec la réalité… Mais avec des éditeurs et jeux si nombreux, des angles et types de jeu si différents, difficile de parler du jeu vidéo comme d’un tout uniformisé.