Le manga en France : Une culture complétement ancrée chez les français
Arrivés depuis la fin des années 70, les mangas se sont complètement installés dans le quotidien des Français. À ce jour, ce ne sont pas moins de trois générations (générations Z, Y et Alpha) qui ont grandi avec des mangas entre les mains ou à la télévision (anime), grâce aux différents acteurs du marché :
- Les maisons d’éditions : Pika Édition, Ki-oon, Doki-Doki, Kurokawa, Tonkam, Kana, Soleil , Delcourt, Ankama Édition, Akata Éditions etc…
- Les chaines télévisées / émissions : Game One, TV Manga, France 5 (Midi les zouzous), TF1 (Club Dorothée), Cartoon Network, Canal J, NT1 (TFX aujourd’hui), etc…
Ainsi, depuis notre tendre enfance, nous ne cessons d’être bercés par des œuvres telles que « Akira » de Katsuhiro Ōtomo, « Dragon Ball » d’Akira Toriyama, « One Piece » d’Eiichirō Oda, « Detective Conan » de Gōshō Aoyama ou encore plus récemment « My Hero Academia » de Kōhei Horikoshi.
En conséquence, en 2022, le manga représentait 25,2% du marché de l’édition, soit un livre sur quatre selon l’étude et les données de l‘institut GfK Market Intelligence. Une donnée à prendre en considération lorsque l’on sait que plus de 400 millions de chapitres de mangas sont lus chaque année en France et que plus de la moitié de ces lectures ont été réalisées de manière illégale sur des sites de « Scantrad ».
Mais qu’est-ce que le Scantrad ?
Le scantrad, ou scanlation, consiste à numériser et traduire un manga de sa langue originale vers une autre par des fans. Il est habituellement partagé gratuitement sur Internet, que ce soit par téléchargement ou en accès direct en ligne.
Une digitalisation non consentie
Dans une société de plus en plus digitalisée, on peut constater qu’en raison des scantrad, le secteur du manga a entamé une digitalisation très précoce par rapport à d’autres secteurs. Et ce, même si cette démarche n’a pas été amorcée de manière légale. Mouvement créé dans les années 1990, le scantrad ou scanlation s’est démocratisé très vite dans les années 2000. Les principales raisons de ce développement rapide sont sans aucun doute liées à :
- L’engouement toujours plus croissant des lecteurs français pour le manga.
- Un coût unitaire conséquent.
- Le désir de découvrir de nouvelles œuvres et des collections pas encore publiées sur le marché.
- Des parutions trop espacées par rapport aux œuvres originales.
- Et surtout à l’explosion d’Internet.
Grâce à ce dernier, ils étaient enfin possibles pour tous les fans de retrouver des mangas japonais (non traduit) et d’avoir accès à une multitude d’œuvres en retard de publication ou pas encore publiée en France. Dès cette découverte réalisée, très vite des groupes de scantrad ont commencé à apparaitre et à diffuser à des lecteurs tout aussi passionnés qu’eux une bibliothèque traduite et numérisée presque illimitée, avec des parutions presque simultanées aux œuvres originales japonaises.
Une cohabitation forcée, mais à quel prix ?
La réponse n’est pas forcément évidente ; on ne peut pas fermer les yeux et ignorer les importantes pertes financières subies par les maisons d’édition et les auteurs de manga. Cependant, on peut constater que la popularité du manga en France au cours des 20 dernières années, représentant 25,2% du marché de l’édition, a bien été influencée par les scantrads.
La création des sites de scantrad n’étaient pas simplement des espaces de lecture que les fans offraient aux lecteurs. Grâce aux forums hébergés sur leurs sites, ils étaient également des lieux de rencontre et d’échange pour les passionnés de lecture. Accompagnés par le développement des réseaux sociaux tels que Myspace, Facebook, Twitter, Youtube, Twitch, et autres, ces espaces d’échanges se sont prolongés sur ces plateformes, renforçant encore la communauté des fans de mangas.
Avec l’émergence de ces nouveaux canaux de communication, les maisons d’édition ont pu observer que leurs lecteurs étaient des fans très engagés, prêts à discuter et à mettre en avant les œuvres qui les faisaient vibrer. Certains de ses fans iront même jusqu’à créer des contenus mettant en avant les œuvres publiées par les maisons d’édition (User Generated Content) sur ces canaux, exemple : HalteManga, LeRireJaune, ChefOtaku, Bytell…
Ces canaux ont ouvert de nouvelles opportunités, ils ont permis aux maisons d’édition de voir les dernières tendances des lecteurs, leurs futures envies, et aussi de découvrir de nouvelles œuvres populaires pas encore publiées en France. En conséquence, cela a aussi permis d’offrir de la visibilité aux auteurs japonais.
Bien qu’une certaine partie de cette communauté réalise ces actions dans le but de gagner illégalement de l’argent grâce à la publicité sur leur site, il ne faut pas oublier qu’une grande partie des scantrads sont, dans un premier temps, des fans et des passionnés du genre. Et, il n’est pas rare de voir ces groupes supprimer tout leur travail lorsqu’une maison d’édition annonce la publication d’une des œuvres qu’ils traduisaient.
De même, pour les lecteurs, même s’ils sont freinés par le coût unitaire élevé des mangas, ils sont conscients des problématiques entourant le scantrad. Et, bien qu’ils en consomment, nombreux sont ceux qui font des efforts pour acheter les mangas qu’ils ont lus en scan une fois publiés par une maison d’édition en France pour soutenir les auteurs japonais.
Mais alors, comment les maisons d’éditions peuvent essayer de capter ses lecteurs et les dissuader de recourir aux sites de scantrad ?
L’arrivée des plateformes de lecture
Dans le monde du jeu vidéo, un certain développeur se nommant John Carmack, connu pour son travail sur Doom et Quake, expliquait lors d’une conférence en 2004 sur le futur des jeux vidéo que celui-ci ne reposerait pas uniquement sur l’amélioration des graphismes ou des animations, mais surtout sur la possibilité de rendre les jeux accessibles au plus grand nombre.
Une réflexion qui fait parfaitement écho au marché de l’édition de manga. Avec des prix variant de 6 à 8 €, l’accessibilité pour consommer une large variété de mangas de manière abondante pour les lecteurs est très compliquée. Et sachant qu’au Japon, depuis quelques années, la digitalisation du secteur est déjà totalement présente, avec une augmentation des ventes de 17% en 2017 et une part du marché de 11%, on ne peut qu’approuver que le numérique soit l’avenir de la consommation de manga.
Les acteurs pouvant observer de loin le succès des plateformes de streaming telles qu’Amazon Prime, Disney+, Spotify, Deezer et Netflix, qui proposent une bibliothèque immense et variée, il n’a pas fallu chercher bien loin pour trouver un modèle qui n’a cessé de démontrer sa réussite et son efficacité au cours de ces dix dernières années.
Avec la création de ces premières plateformes de lecture, il est enfin possible pour les maisons d’édition de pouvoir concurrencer les sites de scantrad en proposant une offre pratiquement similaire, moyennant un abonnement d’environ 6 € à 8 € par mois, pour avoir accès à une énorme bibliothèque de mangas. Ainsi, il était donc évident que ces plateformes constituaient la réponse la plus adaptée pour les acteurs du secteur afin de freiner l’utilisation des sites illégaux et de reconquérir leurs lecteurs.
À l’heure actuelle, nous pouvons observer un véritable eldorado de nouvelles plateformes qui se lancent dans l’aventure, telles que Mangas.io, Webtoon, Manga Plus, ONO, etc. Pour les plateformes complètes telles que Mangas.io, elles cherchent à offrir des abonnements accessibles et attrayants, comprenant de vastes bibliothèques complètes et captivantes. En ce qui concerne d’autres plateformes comme Manga Plus, elles tentent de fournir une diffusion gratuite quasi-simultanée avec les œuvres originales, en échange de publicités placées au début ou à la fin des chapitres pendant la lecture.
Grâce à ces initiatives, les plateformes cherchent à démontrer la possibilité de reconquérir et fidéliser les fans de mangas, tout en se positionnant comme une alternative viable et durable pour les maisons d’édition et les auteurs sur le marché.
Pour finir, on sait que dans le marché, les scantrads ne s’arrêteront jamais. Cependant, avec l’émergence de ces nouvelles plateformes, il est sûr que le marché a trouvé une véritable alternative pour répondre aux demandes des lecteurs. Les autres questions que nous pouvons nous poser maintenant sont :
Dans un monde où la guerre des abonnements est omniprésente, car tout le monde ne peut pas souscrire à différents abonnements, ces plateformes de lecture parviendront-elles à convaincre les lecteurs de choisir leurs services et par quels moyens ? Quant aux maisons d’éditions, comment peuvent-elles tenter de reconquérir davantage les lecteurs et les rediriger vers le format papier ?