Pour contrebalancer le coup de grâce asséné au cookie tiers en début d’année, Google a mis en place la « Privacy Sandbox », une initiative open source visant à améliorer la confidentialité des données, tout en fournissant aux annonceurs des informations utiles sur les intérêts et les comportements des visiteurs d’un site. Rassurer les internautes inquiets d’un côté et satisfaire les annonceurs désireux d’affiner leur ciblage, de l’autre, tel sera le défi ambitieux du marché. Dans un monde sans tracking individuel, le géant du web propose donc un ensemble de mesures censées être une alternative au 3rd party, le mouchard digital que l’on n’assume plus. Bye Cookie Pookie*… Hello Sandbox providentiel !
Deux ans … c’est la date d’expiration du cookie tiers dans le monde digital. Deux ans où il faudra trouver un moyen alternatif efficace pour analyser son audience dans le respect de la vie privée. Deux ans où les acteurs de l’adtech devront réinventer les techniques de suivi de performances et d’optimisation des campagnes digitales. Deux ans pour profondément transformer une industrie qui aujourd’hui capte la plus grosse part des investissements publicitaires. Finalement, ce n’est pas si loin 2022 pour préparer une petite révolution vers un web plus éthique.
Pour survivre dans un monde sans cookie, Google ambitionne de réinventer la collecte et le traitement des données comportementales. Rien que ça ! Sa Privacy Sandbox serait donc une sorte de coffre-fort numérique apposé au navigateur pour stocker les données personnelles. En effet, les datas de l’internaute seront désormais stockées au niveau du navigateur qui enverra des informations anonymisées aux annonceurs. Ce processus offre plus de sécurité et de confidentialité aux utilisateurs, tout en permettant aux annonceurs de cibler et mesurer leurs campagnes. Mais comment marche vraiment ce « bac à sable » censé rétablir la confiance mise à mal par le controversé cookie tiers ?
Une suite d’API comme alternative
Nous en sommes encore aux prémices du projet Sandbox et jusqu’à présent, il existe un certain nombre de fonctionnalités proposées, mais aucune plate-forme réelle pour les tester. Les annonceurs utiliseront des API pour récolter des données comme la conversion et l’attribution, en s’appuyant sur des signaux anonymes, sans cookies, dans le navigateur d’un utilisateur.
Pour rappel, une API, Application Programming Interface (interface de programmation applicative ou interface de programmation d’application), est une solution informatique qui permet à des applications de communiquer entre elles et de s’échanger mutuellement des services ou des données. Il s’agit en réalité d’un ensemble de fonctions qui facilitent, via un langage de programmation, l’accès aux services d’une application. Merci Journal du net !
C’est donc sur ce système qu’est basée la Privacy Sandbox qui regroupera 5 API pour remplacer les fonctions principales du cookie tiers. Chaque API est une réponse à un cas d’usage que Google a identifié, en partenariat avec les acteurs de l’industrie.
La Trust Token API, mesure anti-fraude
Cette API, version revisitée du fameux CAPTCHA, permettra d’identifier l’utilisateur comme un être humain (versus un robot) en une seule fois. Il pourra ensuite utiliser des « jetons de confiance » pour éviter de renouveler l’opération. Les jetons seront anonymes et ne pourront être liés entre eux, donc d’aucune aide pour Google ou quiconque voudrait suivre l’internaute. Bonne nouvelle pour ceux qui détestent cliquer sur des images de bus ou de vitrines suspectes à chaque connexion sur un site.
La Conversion Measurement API, la plus attendue
Ce programme permettra, comme son nom l’indique, de mesurer la conversion. À date le cookie tiers aide l’annonceur à identifier le moment où l’utilisateur voit sa publicité, si ce même utilisateur visite plus tard son site et s’il effectue une action de conversion. Ils peuvent ainsi mesurer l’efficacité de la campagne en attribuant des impressions d’annonces aux pages vues et aux achats qui surviennent des jours voire des semaines plus tard. La Conversion Measurement API pose donc indéniablement la question de l’attribution. La conversion sera-t-elle attribuée au last click, favorisant au passage les solutions de Google, le search ou le retargeting ? Charge aux ingénieurs de Google de rassurer les acteurs de l’Adtech sur ce point dans les prochains mois.
La Privacy Budget API pour limiter la data collectée
Google propose, à travers cette API, de limiter le volume de données auxquelles les annonceurs pourront avoir accès et ainsi lutter contre le Fingerprinting. Cette pratique décriée consiste à agréger suffisamment d’informations sur la navigation de l’internaute pour lui attribuer une empreinte digitale (fingerprint en anglais). Chaque site Web se verra donc attribuer un « budget » ou un nombre limité de données accessibles et s’il le dépasse, le navigateur coupera son accès. Les sites qui voudront collecter des datas plus poussées, comme les services de chat vidéo et les jeux en ligne, pourront demander à l’utilisateur la permission de dépasser le budget.
La Federated Learning of Cohorts (FLoC): De l’individu à la « cohorte »
Cette API est principalement basée sur le machine-learning et permettra de cibler un groupe de navigateurs, appelé « cohorte » ou « troupeau » (flock en anglais), au comportement similaire au lieu d’un individu particulier. Chaque cohorte sera composée d’une centaine voire d’un millier d’individus. Le navigateur utilisera des algorithmes d’apprentissage automatique basés sur l’historique de navigation des utilisateurs et le contenu du site pour développer un cluster d’utilisateurs ayant des intérêts semblables. Ils pourront ainsi être ciblés par des annonces en fonction du groupe auquel ils appartiennent. Avec ce processus, chaque navigateur aura un « nom de troupeau » qui l’identifie comme un certain type d’internaute. On passe ici du ciblage one-to-one au one-to-few, non sans appréhension. En effet, de nombreuses questions sur la vie privée devront être prises en compte, notamment, sur la façon dont Google va constituer ces clusters. Comment s’assurer que les données sensibles ne seront pas utilisées pour générer ces groupes ? Dans ce cas, gare à la fuite !
Le TURTLEDOVE, pour du remarketing éthique
Plus un cadre qu’une API, TURTLEDOVE permettra le retargeting en passant par le ciblage comportemental tout en limitant la quantité de données utilisateur partagées avec les annonceurs. Dans ce processus, les datas comportementales des internautes ne sont pas stockés dans une base de données à distance, mais bien dans le navigateur. Ainsi, lorsqu’un internaute recherche, par exemple, une poussette sur un site, le propriétaire pourra le placer dans un groupe d’intérêt spécifique afin de le recibler lors d’une campagne ultérieure. Toute la particularité de TURTLEDOVE réside cependant dans son procédé d’enchères publicitaires. Selon Michael Kleber, l’un des ingénieurs logiciels de Google « la clé du fonctionnement des enchères publicitaires dans ce nouveau système se trouve dans le nom : TURTLEDOVE, Two Uncorrelated Request Then Locally-Executed Decision On Victory (deux demandes non corrélées, puis une décision exécutée localement sur la victoire) ». Autrement dit, les annonceurs peuvent diffuser des publicités en fonction de l’intérêt d’un utilisateur, mais ne peuvent pas lier cet intérêt à d’autres informations comme son identité ou quelle page ils ont visité.
Et maintenant ?
Globalement, les grands du web, ne pâtissent pas vraiment de la fin des cookies tiers. Avec leurs univers logués (Walled garden), les données des GAFA reposent essentiellement sur de la first party. Pour Vincent Mady, Vice-President Innovation de Tradelab, « même s’il existe un risque pour les Ad’s et les annonceurs d’augmenter leur dépendance au walled-garden, ces nouveaux paradigmes devraient in fine permettre une publicité ressentie comme plus servicielle par les utilisateurs car respectueuse de leur vie privée et permettant une publicité people-based, réunifiant l’expérience utilisateur sur leurs différents écrans. Ce qui bénéficiera à tout l’écosystème ».
La bonne nouvelle est que la Privacy Sandbox est un projet ouvert, ce qui signifie que tout le monde a son mot à dire et peut participer au changement. Le World Wide Web Consortium a travaillé avec Google sur le développement du projet, indiquant que ces normes pourraient devenir un standard pour tous les navigateurs. En attendant, restent en suspens beaucoup de questions auxquelles il faudra répondre pour rassurer le marché. Et deux ans, ce n’est pas si long.
BONUS CULTURE : *Pour ceux qui se demandent ce qu’est un pookie, c’est la contraction du mot « Poucave », qui se dit de quelqu’un qui révèle nos secrets à qui veut l’entendre. Le mot « poucave » vient du romani (langue parlée par les tsiganes) « pouk » ou « poukh » signifiant trahir, dénoncer. Le terme a été remis au goût du jour par notre Aya nationale.
Marie Hélène SYLVA