Les réseaux sociaux sont aujourd’hui une réalité bien implantée dans la communication politique. Ils participent à l’amplification des discours des personnalités politiques mais également des mouvements citoyens. On peut, en conséquence, s’interroger sur l’effet qu’ont les réseaux sociaux sur le discours politique et sur le rapport qu’entretiennent les électeurs avec le système politique.
Les réseaux sociaux, des espaces démocratiques
Les réseaux sociaux sont des espaces d’échange volatils, viraux et n’ont pas de frontière politique ou géographique. Cela les oppose directement au fonctionnement politique qui favorise une certaine lenteur dans la prise de décision ainsi qu’une hiérarchie clairement définie et une géographie limitée par les frontières d’un pays. De plus, les réseaux sociaux, par leur capacité à unir des personnes et groupes malgré ce qui pourrait les séparer (géographie, langue…), facilite les mouvements contestataires. Ainsi, ils modifient le rapport que les personnalité politiques entretiennent avec l’électorat en les aplanissant.
En effet, le rapport entre les personnalités politiques et les électeurs est souvent perçue comme verticale dû à un rapport de pouvoir inégal et une attention médiatique à l’avantage des politiques. Les personnalités politiques captent l’attention des médias, et par là même des spectateurs, de manière bien plus importante qu’un individu « lambda ».
Les réseaux sociaux apportent la possibilité, par la participation à une forme de pratique collective d’expression, à la fois aux personnalités politiques et aux électeurs de nouvelles formes d’expression dans la sphère politique :
- Pour les personnalités politiques, les réseaux sociaux apportent la possibilité de paraître plus approchable, plus humain.
- Pour les électeurs individuels, les réseaux sociaux permettent de faire entendre sa voix au travers d’un système indépendant du système électoral. Ils rendent visibles les individus et leur permet de s’exprimer non plus seulement au travers d’un acte anonyme (le vote) mais en tant qu’entité indépendantes. Dans ce paradigme, le like, le retweet et le commentaire deviennent des instruments de support et de contestation, apportant une nouvelle dimension d’amplitude et de facilité au militantisme politique et à l’expression de ses idées.
Il est également possible de constater le remplacement d’une forme d’éloquence politique par une autre. En effet l’éloquence de meeting et celle des réseaux sociaux obéissent à des codes différents, dictés par le format. Les codes du meeting demandent une certaine grandiloquence, la personnalité politique s’adresse à une foule qui représente métaphoriquement la nation, elle se doit de la captiver afin de démontrer ses qualités oratoires et, intrinsèquement, sa capacité à gouverner. Les meetings sont historiquement vus dans la sphère politique comme des démonstrations de force, visant à montrer l’amplitude et l’enthousiasme de ses militants.
A contrepied de ces codes, les réseaux sociaux en cultivent des plus intimistes favorisant une certaine forme de relation parasociale. Une relation parasociale est une relation à sens unique dont un individu peut faire l’expérience vis-à-vis d’une personnalité publique ou même un personnage fictif. Sur les réseaux sociaux on s’adresse potentiellement à un grand nombre de personnes, mais l’impression qui est donnée est celle d’une relation de un à un, presque d’égal à égal, même si elle en réalité à sens unique. C’est par ces codes que le format capte l’attention de ses utilisateurs et, par la même, que des personnalités politiques peuvent capter sinon l’intérêt du moins l’attention d’électeurs.
Les réseaux sociaux renforcent les déséquilibres démocratiques
Paradoxalement les réseaux sociaux participent à l’hyperpersonnalisation de la politique au travers de la memefication des personnalités politique. La memefication consiste à la création plus ou moins intentionnelle de memes afin de délivrer des informations via des messages contagieux/viraux. Les memes sont, selon la formule consacrée de Dawkins, à la culture ce que les gènes sont à la vie. En quelques mots, les personnalités politiques sont résumées à quelques actions ou mots qui marquent les esprits, on pourrait presque dire qu’elles deviennent des marques. Par ailleurs, les réseaux sociaux favorisent, au travers des memes une vision satirique et désabusée des systèmes et personnalités politiques. Ces dernières, dans l’appropriation des codes des réseaux sociaux, participent à cet effet et le légitimise.
Cette hyperpersonnalisation déconstruit l’effet démocratique des réseaux sociaux en accentuant les tendances verticales des systèmes politiques, mettant en avant les personnalités politiques privilégiées et reproduisant le déséquilibre de représentation présent dans les médias traditionnels.
Un autre aspect pouvant contrebalancer le potentiel effet démocratique et contestataire des réseaux sociaux est la polarisation des échanges, menant notamment à la création d’echo chambers (trad : chambre d’écho). Les echo chambers sont des circuits fermés où des informations, idées et croyances sont répétées et amplifiées. Dans le domaine de la politique, ces echo chambers participent à une fracturation de plus en plus nette entre les personnes ou groupes de personnes adhérents à des idées politiques différentes.
En conclusion, l’influence des réseaux sociaux sur le discours politique est paradoxale. En rajoutant un nouveau format pour s’adresser aux électeurs, les réseaux sociaux changent également la manière qu’on les personnalités politiques de s’adresser à ses électeurs et également la manière dont les électeurs échangent entre eux.
D’un côté les réseaux sociaux participent à la libération des paroles en donnant à chaque individu une plateforme pour exprimer leurs idées et points de vue, aussi contestataire puissent-ils être. Ils se font ainsi l’avatar d’un certain idéal démocratique.
De l’autre, ils participent à renforcer la verticalité des systèmes politiques et la polarisation des positions politiques, menant à une déconstruction des relations entre les électeurs et les personnalités politiques, ainsi qu’entre les électeurs tout courts.
- https://www.cairn.info/revue-les-nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel-2017-4-page-29.htm
- Bulatovic, M. (2019) ‘The imitation game: The memefication of political discourse’, European View, 18(2), pp. 250–253