Aujourd’hui, parler d’inclusivité fait couler de l’encre. Que l’on soit pour ou contre, ce sujet soulève souvent des interrogations ou des débats. Pour autant, l’inclusivité ne devrait pas générer autant de problématiques. Il y a un certain non-sens à s’y opposer, car l’objectif de l’inclusivité est de pouvoir inclure tout le monde. Comme le définit le dictionnaire Larousse :
- 1. Qui contient en soi quelque chose d’autre.
- 2. Qui intègre une personne ou un groupe en mettant fin à leur exclusion.
Dans cet article, on va déblayer plusieurs soucis autour de la définition de l’inclusivité. Inclure les personnes habituellement exclues veut tout et rien dire ; cela démontre souvent dans les discussions que l’inclusivité déclenche une certaine incompréhension de la part de ses détracteur·ices. En effet, qu’est-ce que l’on entend par « inclusivité » ? Qu’est-ce que l’on prend en compte quand on parle d’inclusivité ? Et au sein du digital, qu’entend-on par « inclusivité » ?
Parce que l’inclusivité est un outil marketing, notamment digital. Comment les marques peuvent-elles inclure les problématiques liées à l’inclusivité dans leur approche du marketing digital ?
Inclusivité et langage
Pour comprendre tous les combats que l’inclusivité englobe, il faut d’abord déconstruire les préjugés que l’on peut avoir autour. Quand on a commencé par parler de l’inclusivité, c’était surtout du point médian. Le but était de mettre sur un pied d’égalité le féminin et le masculin. On connait tous cette règle qu’on a apprend très tôt à l’école : le masculin l’emporte sur le féminin. Même si cela est parfois un non-sens.
Exemple : Sarah et Alice ont un chien appelé Robert. Aujourd’hui, ils vont au parc.
Même si Alice et Sarah sont deux, et même si ce sont deux êtres humains, la règle veut que le chien, Robert, genré au masculin soit celui qui l’emporte. Cela est poussé au point où certains métiers sont exclusivement genrés au masculin. Comme par exemple : médecin. Il faut savoir une petite chose à propos de ce point ; si ces métiers sont exclusivement masculins, cela n’est pas pour rien.
Au commencement, l’Académie Française.
Tout d’abord, cela découle d’un stéréotype de genre ; les femmes sont reléguées à des métiers moins « nobles ». Cela vient de l’Académie Française, qui au cours du XVIIe siècle a décidé de masculiniser certains métiers. Pourquoi ? Afin de faire comprendre aux femmes qu’elles n’étaient pas les bienvenues. L’Académie Française a notamment supprimé certaines variantes féminines, effaçant le rôle des femmes dans ces métiers. C’est le cas du mot poétesse. Enfin, les linguistes de l’époque à l’instar de Claude Favre de Vaugelas considéraient que le masculin était plus « noble », et voilà comment la règle « le masculin l’emporte sur le féminin » a été instaurée. Le Français n’a pas toujours été une langue sexiste.
Le point médian, vecteur d’égalité et d’inclusivité ?
Si le langage inclusif s’articule autour du point médian, il ne s’arrête pas à la volonté de faire en sorte que le féminin l’emporte sur le masculin. En vérité, si le sujet semble récent, il n’en est rien. Cela fait plusieurs décennies que l’on s’intéresse à un langage moins masculin, plus neutre ou du moins égalitaire. Si le pronom « iel » semble jeune, il faut savoir qu’il existe depuis la fin des années 2000. De plus, il ne s’agit pas du premier pronom neutre en français. Auparavant, il existait en Ancien Français sous la forme de « al », et son retour a été sonné au cours du XXe siècle avec d’autres variantes. Dès les années 1970, Hélène Cixou aurait remis au goût du jour le pronom « ille », issu de l’Ancien Français.
Le digital, une terre promise du langage inclusif ?
Comme on peut ainsi le voir, si le langage inclusif avait pour but de mettre les femmes sur un pied d’égalité avec les hommes, on va observer que cela ne concerne pas que le statut de la femme. Comme on a pu le voir, la recherche du neutre (ou son retour) en français ne date pas d’hier. Certain·es d’entre vous se souviennent peut-être du « je ne suis pas un homme monsieur » venant d’une personne non-binaire, au cours d’une interview d’Arrêt sur Image en 2018. Cet extrait est devenu viral, et a sorti de l’ombre les personnes non-binaires. Entraînant une vague d’enbyphobie (discrimination allant à l’encontre des personnes non-binaire) et de transphobie.
La non-binarité, et l’utilisation de IEL
La non-binarité est un terme parapluie, désignant les personnes qui se retrouvent partiellement ou non en dehors de la binarité de genre. C’est-à-dire des personnes qui ne se retrouvent pas, ou pas complètement, ou de façon fluide, en tant que femmes ou hommes. Au même titre que la transidentité à laquelle elle peut se raccrocher — des personnes ne se reconnaissant pas au genre qu’on leur a assigné à la naissance —, la non-binarité existe depuis la nuit des temps. En vérité, dans les sociétés occidentales et chrétiennes plus particulièrement, la non-binarité a été effacée de l’histoire comme a pu l’être la transidentité.
L’inclusivité et précisément le langage inclusif, avec l’utilisation de « iel » ou du point médian, ou encore tout simplement de mots épicènes, doit être utilisé pour les femmes, mais aussi pour les personnes non-binaires. On existe grâce et à travers la langue. Refuser « iel » ou le langage inclusif, c’est effacer une partie de la population. Et contrairement aux idées reçues, c’est l’usage qui construit la langue, et non l’inverse. Par exemple, le saviez-vous ? Si on écrit « Lys » aujourd’hui, et non « lis », c’est simplement parce que Victor Hugo trouvait la première forme plus jolie. Une faute intentionnelle qui est devenue une norme.
L’utilisation du langage inclusif comme outil digital
Au sein du digital, il y a encore quelques idées reçues sur l’utilisation du langage inclusif. Par exemple, le point médian a longtemps été un frein pour les personnes utilisant un lecteur d’écran, mais cela n’est plus le cas aujourd’hui. Normaliser le neutre parce qu’on ne connait pas le genre de l’internaute est de plus en plus courant. De plus, certains sites ou réseaux sociaux permettent aux gens de choisir leur genre, ou de décider de ne pas le donner. LinkedIn par exemple permet de personnaliser ses pronoms. Pour autant, en marketing digital, cela n’est pas toujours le cas et tout reste étroitement genré.
Inclusivité, ou inclusion numérique ?
Comme le disait l’introduction, l’inclusivité n’est pas qu’une affaire de langage. La définition première de l’inclusivité est d’inclure tout le monde. Et cela se passe aussi en matière de digital. L’inclusion numérique est un combat mené de plus en plus par les grands groupes. Cela se définit ainsi : « L’inclusion numérique est un processus réunissant un ensemble d’offres, de services et d’actions, qui vise à rendre le numérique accessible à chaque individu, principalement la téléphonie et internet, et à leur transmettre les compétences numériques qui leur permettront d’utiliser ces outils pour leur insertion sociale et économique. »
(Source : l’opérateur Orange)
L’inclusivité n’est pas qu’une affaire de langue au sein du digital
En résumé, l’inclusion numérique a pour objectif de rendre l’utilisation du numérique accessible à tous. Cela va aller sur plusieurs points : une offre à laquelle tout le monde pourrait avoir accès. C’est-à-dire abordable, car aujourd’hui internet est devenu un besoin. Celui-ci est à la fois social, mais permet aussi d’autres choses, comme trouver un emploi par exemple. Désormais, on considère qu’internet fait partie de la pyramide de Maslow.
Néanmoins, rendre le numérique accessible ne se limite pas à une question de prix. En vérité, quand on parle d’accessibilité sur le net, on sous-entend que le digital doit être facile d’utilisation pour tout le monde.
L’inclusion digital, et l’accessibilité numérique : même combat.
Cela signifie que désormais, un site internet doit être utilisé sereinement par une personne en situation de handicap. Que ce soit en étant lisible par un lecteur d’écran, mais aussi en étant clair et précis. Cela peut passer par plusieurs paramètres, comme : des balises alternatives dans les images (c’est-à-dire une description claire de l’image), des contrastes de couleur qui ne sont pas très élevés, etc. Des plug-ins comme Wave de WebAIM peuvent donner un aperçu de l’accessibilité d’un site. De plus, en matière de référencement, Google met davantage à l’honneur des sites accessibles et responsive (c’est-à-dire que l’on peut lire sur tablette ou smartphone). Bref, le monde du digital doit s’ouvrir à l’inclusion du plus grand nombre, et cela passe par penser un contenu qui doit être accessible par tous.
Pour les marques dans l’univers du digital, cela se traduit par un nouveau public. Les personnes handicapées sont des consommateurs comme tout le monde.
L’accessibilité, une donnée importante en marketing digital mal respectée
En théorie. Dans la pratique, la consommation stigmatise personnes handicapées. Dans la vie réelle (ou « IRL »), cela se traduit par des espaces qui ne sont pas toujours accessibles. Ou un personnel mal formé aux diversités des handicaps. Le public qui est persuadé qu’une personne handicapée doit utiliser un fauteuil roulant, ou ne doit pas être capable de marcher. Ce sont des préjugés contre lesquelles les militant·es handicapé·es luttent au quotidien. Que ce soit en éduquant les personnes valides via les réseaux sociaux, ou sur Youtube pour parler du quotidien. Au sein du marketing, iels sont peu représenté·es et leurs besoins mal compris (vêtements mal ajustés pour les personnes en fauteuil par exemple), notamment parce que leurs problématiques sont prises d’un point de vue de personne valide.
Le cas de Jules et l’influenceur Roro le Costaud
La marque Jules a mis en avant Roro le Costaud, un influenceur en situation de handicape. Nouvelle égérie de la marque, celui-ci présente des vêtements adaptés à sa vie en fauteuil roulant. Militant, Roro le Costaud souhaite déconstruire les préjugés que l’on a sur les handicaps. Allié à lui, Jules permet de présenter des produits adaptés à une clientèle peu mise en avant dans le domaine de la mode. Mais aussi en faisant ce qu’on appelle du marketing d’influence, prouvant que les personnes handicapées sont des consommateurs comme les autres.
Au sein du marketing digital, cela passe par des sites accessibles, mais aussi par la représentation. Si une marque souhaite faire la promotion de vêtements pour les personnes en fauteuil, encore faut-il qu’elle s’assure qu’ils puissent être utilisables. Et que la publicité soit une bonne représentation. Pour que la stratégie soit efficace en terme d’accessibilité, il faut la prendre en compte dès le processus créatif.
L’inclusivité digitale : lutter contre la fracture numérique
62,1% de la population mondiale n’a pas accès au net, et de plus en plus de connexions se passent par mobile. En France, iels représenteraient 7% de la population, et certains ne disposeraient pas de ligne fixe. On parlerait alors d’illectronisme pour désigner aussi les personnes ne sachant pas utiliser un ordinateur ou un smartphone. Pour lutter contre cela, il y a plusieurs solutions. Tout d’abord, s’assurer que chacun·e puisse avoir accès aux outils numériques, que ce soit via des offres abordables ou des coups de pouce de l’État. Cela s’appelle la « cohésion numérique » ; il s’agit d’un système mis en place par l’État français pour aider financièrement certains foyers à avoir accès au net.
L’un des paradoxes du digital que les marques doivent prendre en compte, est qu’il permet l’inclusion sociale tout en excluant les personnes n’ayant pas accès au net. Que ce soit pour des problématiques financiers, mais aussi pour son utilisation. L’illectronisme toucherait 17% de la population, creusant davantage les inégalités sociales. Une personne vivant dans un lieu où la fracture numérique est importante ne pourra pas avoir le même niveau d’informations qu’une personne vivant dans Paris, par exemple. Avoir accès à internet, c’est avoir accès à l’information. Savoir utiliser internet, c’est savoir comment faire des recherches. Les populations vulnérables ne sont pas éduquées sur l’utilisation du digital.
Former les plus vulnérables aux outils numériques
C’est autour de cette problématique que la start-up MOBiDYS s’est interrogée. Au départ, cette start-up proposait des outils numériques pour aider les enfants dyslexiques, et éviter le décrochage scolaire. Néanmoins pour que ces enfants aient accès à ces outils, il faut s’assurer qu’iels puissent avoir internet. En s’alliant avec le Coup de Main Numérique, MOBiDYS a reçu le prix de l‘innovation sociale en 2021.
De plus, dans le cas de la recherche d’emploi, on peut avoir accès à des formations sur les outils numériques. L’objectif derrière est aussi d’apprendre aux gens à éviter les pièges, les petites escroqueries que l’on peut voir passer régulièrement. Ces formations sont d’autant plus importantes aujourd’hui qu’elles permettent de réduire la fracture numérique. Du côté du marketing digital, cela passera par l’assurance d’un site facile à utiliser et lisible. L’UI et l’UX ne devraient pas se passer de ces détails.
Inclusivité et digital, un nouvel enjeu pour les marques
En conclusion, si l’inclusivité fait encore débat, force est de constater qu’elle doit être normalisée. Le but de l’inclusivité est d’inclure les personnes habituellement exclues. Et contrairement aux idées reçues, l’inclusivité ne date pas d’hier. Faire du digital un environnement inclusif tient en plusieurs points : le langage, certes, la représentation, mais aussi de l’accessibilité.
Si les anglophones en ont compris les enjeux, ce n’est pas encore tout à fait le cas de la France. En effet, là où souvent le langage inclusif fait peur, c’est parce que le français est une langue très genrée. Au sein du digital, cela a une certaine répercussion : publicités et médias genrés, peu de représentations de personnes qui sortent des normes, etc. On pense peu aux personnes n’ayant pas accès aux outils numériques, ou n’y étant pas former.
C’est pourquoi parler d’inclusivité au sein du digital est à la fois un enjeu social, mais aussi un outil marketing, afin de toucher le plus grand nombre. Parce que parler à tout le monde, c’est s’ouvrir à un public plus large. Rendre un site plus accessible, c’est comme dans la vie réelle. Ajouter une rampe pour les personnes en fauteuil améliore (aussi) la qualité de vie des autres, comme les poussettes. Pour autant, on est encore aux balbutiements de l’inclusion digitale.
Rédigé par Indiana Genest
pour Média Institute
Responsable de Communauté chez Alphonse
Auteur du blog : antagoniste.ig