Comparer un auteur à une marque peut heurter certains ou paraître paradoxale pour les autres, pourtant comment expliquer des succès phénoménaux de certains auteurs ?
Guillaume Musso en tête du classement des meilleures ventes en France en 2020 avec ses deux titres «La vie est un roman » et «Skidamarink» vendus comme des petits pains au total en 1,5 million d’exemplaires, Virginie Grimaldi à la deuxième place du palmarès avec 827.561 exemplaires vendus et à la troisième place Michel Bussi avec 827.561 d’exemplaires vendus … Ces phénomènes, et bien d’autres exemples d’auteurs très lucratifs, sont-ils le fruit d’un pur hasard ou d’une stratégie de marque bien réfléchie ? Dans cet article nous allons tâcher de répondre si l’auteur peut être considéré comme une marque et de ce fait s’il peut gérer son activité comme n’importe quelle marque de consommation.
L’Auteur est-il une marque ?
Commençons par un rappel de la définition de la marque. Selon Benoit Heilbrunn[1], la marque est un système d’offre constitué d’éléments tangibles (logo, identité sonore) et intangibles (valeurs, promesse) et qui concerne aujourd’hui non seulement des produits que nous consommons et utilisons (Nutella, Nike) mais aussi des entités de services (HSBC, Amazon, Veolia), des enseignes (SuperU, la Fnac), des associations (la Croix-Rouge, les Restos du Cœur), des lieux géographiques (le Mont-Saint-Michel, Lourdes). L’auteur est ainsi un cumul d’éléments tangibles comme la signature de son nom, le style et le ton d’écriture, le genre d’écriture (théâtre, science-fiction, BD) et intangibles (proposition de valeurs, engagements, motivations, inspirations) qui sont transposés dans l’offre d’auteur sous forme de livres. Enfin, l’auteur bénéfice d’une certaine notoriété (connaissance de son nom) et d’une certaine image (contenu associé à son nom) comme n’importe quelle marque.
Rappelons que la marque se doit également de remplir les trois fonctions principales: la signature (ou l’identification), la différenciation, et la création de sens [2] . Voici comment l’auteur parvient à s’acquitter de ses trois fonctions de marque. Premièrement, le nom d’auteur est un repère et une garantie pour le consommateur ; il permet d’identifier et de différencier le produit, de diminuer les risques à l’achat, et est un contrat implicite entre l’auteur lui-même et le lecteur. L’auteur s’engage à offrir à ses lecteurs un livre avec certaines caractéristiques attendues comme par exemple un langage simple, la surprise, une histoire d’amour comme dans les romans de Guillaume Musso. De l’autre côté, le lecteur s’engage à avoir une attitude favorable vis à vis des ouvrages existants ou futurs de l’auteur ; par exemple collectionner toutes les enquêtes d’Hercule Poirot d’Agatha Christie. D’autres garanties de qualité du livre sont : les labels, comme par exemple celui de littérature consacré aux premières œuvres, et les prix littéraires tels que Prix Goncourt, Prix Femina, Prix du roman Fnac, … Nous pouvons donc affirmer que la marque auteur garantit une certaines qualités du produit et se veut rassurante lors de l’acte d’achat. La marque auteur est aussi un repère dans un vaste choix possible des titres disponibles. Enfin la marque auteur est créatrice de sens et de valeur. « La marque donne un supplément de sens à l’action collective de l’entreprise et de ses collaborateurs. Elle est porteuse d’une histoire et de valeurs qui provoquent l’attachement et l’identification. »[3] Greta Thunberg, activiste et militante pour le climat et l’environnement a publié trois livres qui témoignent son engagement : « Rejoignez-nous : #grevepourleclimat »2019, « No One is Too Small to Make a Difference (recueil de onze discours) »,2019, « Scènes du cœur »,2020.
Le livre, un produit pas comme les autres.
Dans l’esprit du consommateur, le livre n’est pas associé au bien de grande consommation mais plutôt à l’objet culturel ou intellectuel. La consommation d’un livre est essentiellement motivée par des raisons hédonistes : s’émouvoir, se divertir, s’évader du quotidien, élargir ses connaissances, mais également pour des raisons sociales voir de l’ordre éthique : afficher un statut social, appartenir à un courant ou une philosophie. C’est pourquoi, le choix d’un livre révèle la personnalité du lecteur et il est un fort marqueur identitaire : goûts, valeurs, motivations, personnalité du consommateur également influencé par le revenu, niveau d’éducation et le réseau relationnel. [4] A contrario, les biens de consommation courante (même ceux avec une marque forte comme Nutella, Evian, H&M) du fait de leur dimension de consommation de masse, ne sont pas des révélateurs identitaires. Il est important de rappeler que parce que le livre est un fort marqueur identitaire, les lecteurs ont une tendance à développer une forte fidélité à un auteur ou un éditeur préféré avec une forte dimension addictive grâce au dialogue ou une forme de partage d’intérêt, motivations, valeurs entre l’auteur et son lecteur.
L’auteur « monstre sacré »
L’auteur profite également d’un autre attrait; en France il jouit historiquement d’un statut de « monstre sacré ». En fait l’auteur possède un statut de créateur mystique et remplit un rôle particulier au sein de la société. Nous pouvons considérer l’auteur comme un créateur divin doté d’un pouvoir que les autres mortels n’ont pas : « Tel un dieu, il tire une œuvre du néant ou du chaos et la façonne, lui donne vie, l’incarne dans un objet original » (Edelman, 2004) ainsi le processus de création est difficile à expliquer, basée sur l’inspiration, très personnel, difficile à reproduire et à standardiser. Cette démonstration d’une puissance charismatique de l’auteur provient d’un mystérieux processus de création mais encore il découle de l’influence de ses oeuvres sur leur public. Le livre a le pouvoir de susciter des émotions telles que la joie, la tristesse, la peur, la curiosité, … le livre peut même boulverser, toucher profondément son auditoire, offrir une expérience spirituelle ou une révélation.
D’ailleurs l’auteur n’est pas qu’un créateur de Belles-Lettres, historiquement il joue un vrai rôle social, intellectuel, politique. Par exemple Rousseau avec « Emile » a joué un rôle important dans la vulgarisation d’éducation des jeunes enfants. Il a également attiré l’attention sur l’importance des soins nécessaires pour la survit des nourrissons et par cela, a contribué à une baisse progressive de la mortalité infantile au XVIIIe siècle. Tout au long des siècles, la vie sociale, politique, intellectuelle ont été façonné par les réflexions d’auteurs tels que Victor Hugo, Emile Zola, Sartre, Camus, … En France les auteurs jouissent donc bel et bien d’un grand prestige et d’une place spéciale au sein de la société.
La marque auteur est une marque humaine
Selon Collange (2011), la marque auteur s’incarne en une personne physique de l’auteur, le livre (le produit de la marque auteur) est une extension de sa personnalité. « L’auteur par son histoire, son rayonnement personnel et ses engagements, dépasse le cadre strict de la marque. »[5] A la différence d’une marque de produit, le livre est un prolongement de son créateur, témoigne de sa créativité et de ses engagements. Il incarne son maître, il ne peut exister sans lui. Ce lien entre l’auteur et son œuvre est tout à fait différent comparé à d’autres produits.
Pour résumer, nous pouvons affirmer que l’auteur remplit bien les caractéristiques tangibles/non-tangibles et les fonctions d’une marque (identifier, différencier, créer de la valeur). Pour autant la marque auteur n’est pas une marque comme les autres. Elle est un fort marqueur identitaire car révèle la personnalité du lecteur ; goûts, valeurs, motivations, mais également le niveau de revenu, d’éducation. La marque auteur vit à travers la personnalité de l’auteur lui-même. Le livre est ainsi à la fois le produit de la marque auteur, et le prolongement de son maître. Enfin, l’auteur est considéré comme un créateur divin et possède historiquement une place spéciale et une influence au sein de la société. Pour conclure, nous constatons que l’auteur peut être géré comme une marque à condition d’utiliser une stratégie adaptée aux spécificités de la marque auteur.
[1] Heilbrunn B., (2017), «La Marque». Ed.Que sais-je., p.14
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Marque_(marketing)
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Marque_(marketing)
[4] Bourdieu, 1979
[5] Collange V., (2011), « Le nom d’auteur est-il une marque. », 13th Conference on Arts et Cultural Management.