A l’ère du digital, de nombreuses marques incitent les consommateurs à passer à l’achat de manière abusive en faisant appel à ce que l’on pourrait appeler, les dark patterns. Un terme qui peut paraître opaque au premier abord et pourtant, se traduit par une panoplie de pratiques foncièrement frauduleuses. Les dark patterns reposent principalement sur un mécanisme marketing qui fait usage d’interfaces utilisateur trompeuses (UI) lors de l’expérience utilisateur (UX). Tout ceci, dans une optique de manipulation de la décision d’achat du consommateur.
Les marques font appel à de multiples pratiques, qui dans un élan d’innocence, paraissent inoffensives pour doper leurs ventes. En manipulant le design des interfaces, elles peuvent inciter les utilisateurs à prendre des décisions compromettantes, à leur insu.
Mon objectif est de proposer des solutions viables aux entreprises pour qu’elles puissent préserver leur réputation et/ou redorer leur image auprès de leurs cibles sans avoir à recourir à des pratiques peu éthiques.
Les dark patterns les plus exploités par les marques
Il existe une liste non exhaustive de dark patterns auxquels les marques peuvent recourir pour appliquer une stratégie de marketing agressif. Dans notre cas de figure, nous allons nous pencher sur les trois dark patterns mainstream qui sont relativement les plus couramment utilisés sur les sites et applications digitaux.
- Hidden costs (les coûts cachés)
Le coût caché est un dark pattern qui consiste à dissimuler les frais ou coûts supplémentaires à l’utilisateur jusqu’à qu’il soit bien avancé dans le processus d’achat ou d’inscription à un abonnement.
En analysant le parcours client sur Uber Eats lors de l’achat d’un menu chez McDonald’s, on constate que les frais supplémentaires ne sont révélés qu’à la dernière étape. Par ailleurs, il est nécessaire de faire défiler l’écran jusqu’en bas pour voir le montant final à payer. Un utilisateur peu averti de cette manœuvre pourrait valider son achat dès que le call-to-action « Commander et payer » apparaît en pensant que le montant présenté à l’étape précédente est le montant final à débourser. Il ne serait donc pas amené à vérifier les frais additionnels.





- Reach Motel (le motel à cafards)
Le reach motel est une technique de dark pattern qui consiste à rendre accessible l’inscription mais très difficile, voir impossible pour le consommateur la désinscription. Comme le dit Harry Brignull, expert UX et militant anti dark pattern, l’aspect design du « motel à cafards » est très trompeur.


Voici un parcours client sur le site Starbucks où l’inscription à un compte client se fait rapidement et est très facile à effectuer tandis que la désinscription est très coûteuse en matière d’énergie et de temps.
Ce type de pratique porte préjudice au consommateur mais aussi à l’image de la marque, qui retient des clients contre leur gré en complexifiant le parcours utilisateur pour la désinscription.




3. Sneak into basket (se faufiler dans le panier)
Le sneak into basket est un dark pattern vicieux, reposant sur l’ajout furtif d’un service ou d’un produit au panier à la dernière étape du processus d’achat. Il s’agit d’une technique très prisée par les compagnies de voyage en partenariat avec des assureurs.
Par exemple, dans le parcours utilisateur de Ryanair, des options supplémentaires ont été ajoutées pour proposer un service plus cher au moment de l’achat. Cette offre inclut une souscription automatique à une assurance, dont les détails ne sont pas explicitement affichés sur le site. Par ailleurs, l’utilisation du pop-up qui propose deux offres, Basic et Regular, en mettant en avant le gain d’économies pour l’offre Regular, fait appel à un autre dark pattern qui a pour but d’inciter l’utilisateur à souscrire à une offre plus chère, qui peut paraître avantageuse de prime abord. Ce dark pattern est couramment utilisé pour faire croire aux utilisateurs qu’ils feront des économies en basculant vers une offre plus chère.







L’industrie de la mode, influente grâce aux dark patterns
D’après les études du FRC, de Public Eye, et d’UFC-Que-Choisir, l’industrie de l’ultra fast-fashion, est aujourd’hui celle qui exploite le plus de dark patterns pour maximiser ses marges. En 2024, les géants chinois, Shein, Aliexpress et Temu ont marqué le paysage de la mode ultra fast en encourageant les users à la surconsommation.

Shein, Aliexpress et Temu ont la particularité de faire appel à plus de huit dark patterns sur leurs interfaces, tel que des prix barrés trompeurs, des incitations répétitives et des pièges jouant sur une fausse urgence et de fausses réductions. Il s’agit de dark patterns qui sont les plus exploités par les géants de l’ultra fast-fashion pour avoir un meilleur positionnement que les concurrents sur le marché de la mode. Les marques de l’ultra fast-fashion proposent des ventes flash en créant l’illusion que le client bénéficie de promotions limitées dans le temps, avec un compte à rebours visible. De la même manière, elles augmentent artificiellement les prix de leurs produits pour donner l’impression aux clients qu’ils ont droit à une réduction express. Le sentiment d’urgence est également suscité chez le consommateur pour le pousser à acheter plus rapidement.





Le Black Friday est un temps fort favorable pour les industries de la mode, qui en profitent pour intensifier l’usage des dark patterns et tirer parti des clients, plus enclins durant cette période clé à prendre des décisions impulsives. Elles recourent à des réductions de dernière minute tout en augmentant artificiellement le prix de départ afin de réaliser des marges et manipuler insidieusement les clients.

L’utilisation de méthodes marketing abusives a permis aux trois acteurs chinois de devancer les marques traditionnelles pour réaliser des bénéfices importants. Cela dit, en 2024, Temu est l’entreprise chinoise qui a su surpasser ses concurrents en attirant à elle toute seule 3,7 millions de clients en seulement six mois.

Le Digital Services Act s’oppose aux darks patterns
Depuis le 17 février 2024, une nouvelle loi entre en vigueur. En s’appuyant sur l’article 25*, Le Digital Services Act prend des mesures draconiennes pour inciter les marques à adopter des pratiques éthiques et transparentes pour les utilisateurs de leur plateforme en ligne. Malgré cette interdiction, les marques persistent dans l’usage de dark patterns en contournant la réglementation européenne sur les services numériques. L’étude récente d’UFC-Que-Choisir met en lumière les choix stratégiques d’une vingtaine de marques dont les e-commerces comme Shein, Temu, Aliexpress qui ont recours à ces techniques trompeuses.

De son côté, en juillet 2024, le Global Privacy Enforcment Network (GPEN) sort une étude analysant plus de 1000 sites et applications. Le verdict tombe, 97 % d’entre eux utilisent au moins un dark pattern sans recourir aucune sanction. D’après cette étude, Il est admis que les dark patterns les plus frauduleux sont ceux liés à la déconnexion et/ou suppression de compte, à l’usage de bannières de cookies trompeuses pour rendre difficile la protection de la vie privée.
En octobre 2024, la commission européenne ouvre une enquête contre Temu, qui est le champion dans l’utilisation de darks patterns dans l’industrie de la mode. Le géant a eu recours à des pratiques déloyales pour surpasser tous ces concurrents. Temu est donc poursuivie et peut écoper une amende allant jusqu’à 6 % des chiffres d’affaires de la marque.
Les alternatives envisageables aux darks patterns
Les marques doivent faire preuve de plus de transparence sur la manière dont est conçue l’expérience utilisateur sur leur interface. Elles doivent mettre en place un processus simple pour les utilisateurs afin qu’ils puissent s’inscrire et se désinscrire à des abonnements gratuits ou payants. En rendant, le bouton de désinscription plus accessible, elles poussent davantage les utilisateurs à souscrire à un essai gratuit de leur abonnement, et pour d’autres à poursuivre des achats sur leur plateforme. Les utilisateurs satisfaits partageront leur expérience ainsi que des avis positifs sur différents canaux de communication : les réseaux sociaux, le bouche à oreille, la communauté web et les médias. La marque, quant à elle, verra son e-reputation et son image de marque grandement améliorée.
Cette pratique positive des utilisateurs va attirer de nouveaux clients pour les marques. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle la marque risquerait de perdre des clients si elle décidait de simplifier le processus de désinscription, elle pourrait en réalité acquérir de nouveaux clients, ce qui augmenterait ses ventes ainsi que ses revenus. La transparence au niveau de l’expérience utilisateur va donc contribuer à plus de conversions d’un abonnement gratuit (freemium) en un abonnement payant (premium).
Les entreprises peuvent jouer sur tous les tableaux par le biais de la transparence en adoptant des pratiques éco-responsables pour optimiser leur empreinte digitale. Elles peuvent diminuer le chargement de leurs pages, simplifier le processus de désinscription en limitant le nombre de pages et rediriger vers un autre canal de communication pour réduire le nombre de requêtes envoyées aux data centers qui regroupent des serveurs énergivores, disposant d’une forte empreinte carbone. D’après l’étude ADEME, le numérique est à l’origine de 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde (GES).
D’autre part, l’industrie de la mode est connue pour être la sixième industrie la plus polluante au monde. Des acteurs chinois comme Shein, Temu et Aliexpress encouragent les consommateurs à la fièvre acheteuse. Ces derniers consomment des vêtements peu durables et à forte empreinte carbone. L’usage de darks patterns contribue fortement à ce phénomène en plein essor. C’est pourquoi, la régulation de techniques issues du marketing agressif constitue un enjeu capital, que les entreprises de la mode doivent prendre en considération pour favoriser des pratiques écoresponsables chez leurs consommateurs.
En l’occurrence, toutes ces démarches visant à améliorer l’expérience client vont aussi permettre à toutes les marques de s’inscrire dans une démarche RSE.
*Article 25 : « Les fournisseurs de plateformes en ligne ne conçoivent pas, n’organisent pas et n’exploitent pas leurs interfaces en ligne […] d’une manière qui, délibérément ou dans les faits, trompe ou manipule les destinataires du service, en altérant ou en compromettant leur autonomie, leur capacité de décision ou leurs choix ».
Sources :