Souvent, le marketing digital s’articule autour d’un public. Celui-ci peut être large ou plus précis ; tout dépend du produit que l’on veut promouvoir. Néanmoins, si certains produits peuvent être achetés par « tout le monde », force est de constater qu’en français, le langage genré peut freiner une portion de personnes à l’achat. En effet, la langue codifie certains comportements, certaines expressions du « soi ». Une personne parlant au masculin aura souvent une attitude « masculine », et une expression similaire dans le choix de ses vêtements ou de ses goûts. Par exemple, un petit garçon portera plus facilement du bleu que du rose, car cette couleur est le code des petites filles.
Le Marketing Digital : une question de langue ?
En langue, on a une représentation significative du masculin. Par exemple, avec la règle que l’on apprend tous à l’école qui est : le masculin l’emporte sur le féminin. Cette importance de la masculinisation dans la langue se retrouve aussi dans les métiers.
En effet, certains emplois n’ont pas d’équivalent féminin, ou très discrètement comme par exemple « professeure » ou « médecin ». Si bien qu’on retrouve une sous-représentation des femmes dans certains métiers, comme dans la maçonnerie, ou encore chez les sapeurs-pompiers. Dans le monde du digital, si cela semble se lisser, ce n’est pas tout à fait le cas.
Grace Hopper, créatrice du langage Cobol
Par exemple, le travail de développeur reste exclusivement masculin. Dans tous les cas, aujourd’hui, l’un des enjeux du digital est son accessibilité, mais aussi son inclusivité. En effet, comment dégenrer une langue aussi genrée que le français, afin de parler à tout le monde ?
Le masculin l’emporte-t-il encore sur le féminin dans les enjeux du marketing digital ?
Longtemps et notamment en France, le masculin était un état par défaut. Considéré aussi comme le neutre, le masculin a bâti la société dans laquelle on évolue. Par exemple, savez que notre environnement est construit pour les hommes d’une trentaine d’années, et faisant entre 1m75 et 1m80 ? En Design, le mobilier est pensé pour ce standard. Dans beaucoup de choses, l’homme blanc d’1m80 est un standard, et beaucoup de choses s’articulent autour de ce point. En marketing et notamment dans les publicités, c’est ce qu’on retrouve le plus souvent. Que ce soit dans les publicités pour Rolex que celles pour Carglass ; c’est un peu un état « par défaut ».
La représentation des femmes dans les métiers de marketing digital
Néanmoins, les femmes restent peu représentées dans le digital. À la fois en tant que telle, mais aussi dans les métiers liés de près ou de loin au digital. On estimait en 1970 que 30% à 50% des femmes étaient dans les filières informatiques. En 2018, elles représentaient 10% à 15% des élèves en école d’ingénieures informatiques. De plus, elles quitteraient le domaine de la tech dans les 10 premières années de leur carrière. C’est une donnée en chute libre quand on compare leur nombre de 1970. L’une des causes est la surreprésentation des hommes informaticiens dans la pop culture, s’inscrit dans la figure du « geek » qu’ont appuyé des séries comme The Big Bang Theory. De plus, les métiers liés à la tech sont perçus comme des milieux misogynes, ou les femmes ne sont pas les bienvenues.
Pour autant, on estime que 66% des Community Manager sont des femmes. Le travail de Community Manager est à la fois créatif et relationnel ; des disciplines vers lesquelles on encourage les femmes depuis l’école.
En effet, les adolescentes privilégient les filières littéraires, car souvent on a gardé l’idée que les filières scientifiques étaient une affaire d’homme. De plus, souvent en marketing, les femmes sont représentées de façon stéréotypée. Si la majorité des publicitaires estiment bien les représenter en majorité, l’accueil du public n’est pas le même. Pour autant, on retrouve ce décalage aussi pour les hommes, qui se considèrent mal représentés dans les publicités. En effet, si les séries et le cinéma s’efforcent de faire bouger les choses, les publicités mettent encore en scène les mêmes clichés.
Pour l’instant, on dirait bien que dans le digital, le masculin l’emporte toujours sur le féminin.
Qu’en est-il dans le marketing digital ?
Le saviez-vous ? On pourrait dire que les réseaux sociaux sont aussi genrés. La majorité des personnes sur Instagram sont les femmes, alors que les hommes occupent une place plus importante sur Twitter. En termes de représentation et de marketing, cela pousse les marques à adapter leurs discours. Bien sûr, d’un produit à un autre, cela va changer. Néanmoins, force est de constater que l’on devra changer un peu son discours pour toucher une niche dans un océan plus large. En termes de communication, cela est plus flagrant. Quand un produit touche à la beauté, on peut voir que la marque utilise davantage le féminin. A contario, si on prend l’exemple du jeu vidéo, on privilégiera le masculin. Par défaut, on est des joueurs.
League of Legends, un Marketing Digital dégenré ?
Pour une mise en contexte, on va citer l’un des jeux les plus connus et joués du monde : League of Legends. L’une des forces de League of Legends est de toucher un public large, notamment grâce à son utilisation du marketing digital. Si le jeu est gratuit, on peut acheter des skins, c’est-à-dire des versions alternatives des personnages que l’on joue. La sortie de la série Arcane présentait une pléthore de personnages diversifiés, de genre ou de couleur de peau, ou encore d’orientation sexuelle. L’un des autres succès de Riot Games est d’avoir mis sur le devant de la scène le faux groupe K/DA.
C’est simple : il s’agit d’un univers alternatif au jeu, présentant un groupe d’idoles coréennes incarnées par des championnes. Une équipe alors exclusivement féminine, extrêmement populaire chez les fans de K-Pop qui ont grâce à celui découvert League of Legends.
La K-Pop touche davantage un public féminin qu’un public masculin ; par exemple, 83% des fans du groupe BTS sont des femmes. Pour autant, la scène compétitive de League of Legends touche très peu de femmes.
Le marketing digital est-il codifié ?
En dehors de League of Legends, et de K/DA, on peut voir que le digital reste codifié dans son genre. Par exemple, le display qui permet de mettre sous le nez de l’internaute des produits va s’adapter à son genre. En théorie. Si vous cherchez des produits de beauté chez Sephora, la publicité pensera que vous êtes une femme. Si vous vous intéressez au bricolage, on pensera que vous êtes un homme. Et si cela n’est pas souvent évident, on peut voir cela sous le prisme d’un code douleur : noir ou bleu pour les hommes, plus pastels pour les femmes.
Cela se traduit aussi dans la façon qu’ont les boutiques en ligne communiquent ; si Asos par exemple a une catégorie « grande taille », et que sa marque Collusion se vante de faire de l’unisexe, on remarque toujours une catégorie femme et homme bien distincte. Indirectement, on fait comprendre à des personnes que s’iels sont des hommes, iels doivent aller dans la partie « homme » pour trouver des vêtements. Sans même penser qu’un homme aurait envie de porter une robe adaptée à sa morphologie. Même si dans le cas d’Asos, des jupes pour homme peuvent être mises en ligne, ce n’est pas mis en avant.
Langage genré et expressions codifiées
On va reprendre l’exemple de Sephora. Quand on va sur leur site internet, on peut remarquer que la publicité représente des femmes. Quand on va dans leurs menus, on remarque qu’il n’y a pas de catégorie « homme ». Celle-ci se trouve en vérité dans d’autres catégories : soin du visage, des cheveux, etc. Si on va dans la partie « maquillage », aucune trace de masculinité. Pourtant, depuis quelques années, on a vu l’essor du maquillage chez les hommes, comme par exemple avec des influenceurs comme le Jardin d’Eden. Les codes visuels utilisés dans les boutiques en ligne de produit de beauté obéissent aux codes féminins, sans s’adresser explicitement à un public masculin. On peut dire que sur cette partie-ci, les hommes se font invisibiliser.
L’inclusivité et le marketing au-delà du langage
Parce que l’inclusivité ne tient pas toujours dans des éléments de langage, cela peut se représenter dans les codes sociaux et d’expressions de genre. Si la robe est vêtement féminin, cela n’a pas toujours été le cas. Pour que le marketing digital touche le plus grand nombre, il faut arriver à comprendre et déconstruire tous ces éléments. Par exemple, éviter des codes de couleurs associés au genre féminin ou masculin. Utiliser un langage non genré par exemple, ou inclure les personnes non-binaires dans son discours marketing sont des pistes. Parce que les vêtements, le maquillage ne sont pas genrés, et parler de non-binarité ainsi que de maquillage est devenu un outil marketing. Néanmoins, force est de constater que cela ne joue qu’à la surface.
Alors comment dégenrer le langage pour parler au plus grand nombre ? Cela tient en quelques points. En prenant tout d’abord conscience que s’il y a un domaine avec des biais, c’est bien le marketing. Longtemps, cela a renforcés certains clichés, que ce soit par les publicités sexistes ou dans les packagings des produits. Pourquoi des rasoirs roses et plus chers pour les femmes, par exemple ? Ou encore, pourquoi les femmes n’ont-elles pas droit aux mêmes poches que les hommes ? C’est ce que le compte Pépites Sexistes essaye de dénoncer.
Le cas de la Non-Binarité dans le langage du marketing digital
Concernant les personnes en dehors des normes binaires, on voit une volonté depuis quelques années à inclure le plus grand nombre. En français, cela passe par des formulations comme « personnes qui menstruent » pour parler des personnes non-binaires, ou des hommes transgenres. Par exemple, le Planning Familial a établi une campagne visant les femmes, mais aussi les personnes susceptibles de tomber enceint. Pourquoi ? Tout simplement parce que si une personne prenant un THS (Traitement Hormonal de Substitution), notamment de la testostérone dans le but de se masculiniser, iel peut toujours tomber enceint·e. Inclure ces personnes-ci dans cette campagne a aussi un but informatif.
Le digital est aussi responsable, que ce soit via les réseaux sociaux qui peuvent donner le choix aux personnes de choisir leurs pronoms, ou encore en jouant la carte de marques inclusives. Cela se passe par le choix de communication, dans des sites pensés pour l’accessibilité, ou comment les influenceur·ceuses décident de s’adresser à leur public. Pour ces derniers, si mettre en avant des célébrités sortant des normes binaires, en France il y a du chemin à faire.
Si on prend par exemple le cas des influenceuses fitness, qui avec la venue de l’été vont vendre leurs programmes, elles articulent leur communication autour du ventre plat et des exercices fessiers. Alors que des femmes pourraient très bien avoir envie de se muscler le haut du corps. C’est même de plus en plus le cas avec l’essor du phénomène Tik Tok des Muscle Mommy. Celles-ci jouent avec les codes du genre en s’appropriant les salles de musculation. Imaginons seulement, une campagne de marketing digital avec Rhea Ripley présentant ses produits de beauté ?
Le marketing digital et langage : quelles solutions ?
Dégenrer le langage pour parler au plus grand nombre est une partie émergée de l’iceberg. Au-delà de l’utilisation du langage inclusif, il faut réfléchir à comment on pense la société actuelle. Le digital est un outil, un terrain d’expérimentation. Il est plus facile de modifier une publicité sur le net que sur une aire d’autoroute. On a aussi la possibilité d’échanger avec les prospects, de prendre la mesure et la température. Les réseaux sociaux sont un aspect important pour établir des données, des tendances, ou encore des volontés.
On pourrait croire que vouloir s’adresser à tout le monde, c’est s’adresser à personne. Mais une stratégie de contenue intelligente devrait prendre en compte l’aspect codifié du genre, à la fois dans le langage ou dans son expression. Si certains se plaindront de ne plus être représentés dans une publicité Carglass (par exemple), ce sera dû à un biais cognitif qu’il faut savoir dédramatiser. Le digital doit se tourner vers l’inclusivité pour élargir ses horizons.
Malgré tout, vouloir dégenrer le langage pour s’adresser au plus grand nombre au sein du digital, c’est aussi prendre le risque de tomber dans des travers. En effet, Juin est le mois de célébrations des Marches des Fiertés, le moment idéal pour les marques d’étendre le Pinkwashing sur le monde numérique. Mais cela sera le sujet d’un autre article.
Rédigé par Indiana Genest
pour Média Institute
Responsable de Communauté chez Alphonse
Auteur du blog : antagoniste.ig