Après avoir précédemment défini la désinformation et expliqué en quoi elle affecte la communication digitale dans le secteur de la santé, cet article se concentre sur les mécanismes sous-jacents à sa propagation. Nous examinerons les différents aspects de cette propagation : les acteurs impliqués, le rôle des algorithmes ainsi que les facteurs psychologiques, qui contribuent à la viralité des fausses informations.
Caractéristiques de la désinformation efficace et persuasive
Pourquoi la désinformation apparait ?
La désinformation est particulièrement présente lors des évènements de crise qui génèrent de l’anxiété et de l’incertitude. En effet, elle permet aux personnes d’avoir des possibilités d’interprétation des événements qu’elles ne comprennent pas.
De plus, l’apparition de fausses informations coïncide généralement avec un important flux de données sur internet et les réseaux sociaux.
Par exemple, lors du confinement, période propice l’incertitude, l’engagement sur les médias sociaux a progressé de 32 % pour les Français, par rapport aux taux d’utilisation observés habituellement.
Enfin, la défiance envers les autorités, le doute envers des discours scientifiques, le sentiment de manipulation ou de peur face à son propre état de santé constituent également un terrain propice à la propagation de fausses nouvelles.
C’est quoi une « bonne » Fausse information ?
De nombreux sites trompeurs copient des sites officiels (structure, mise en page, nom de domaine…) permettant aux fake news de passer plus inaperçues.
En effet, une étude sur les visuels des fake news sur la COVID-19 a mis en évidence que la reformulation d’une information émanant des autorités publiques, était un des types de contenus les plus couramment utilisés.
Par ailleurs, la désinformation ne contient pas uniquement des données fausses. Elle est fréquemment constituée d’éléments vrais sortis de leur contexte ou soumis à des interprétations arbitraires. Ce qui la rend plus compliquée à identifier.
Par exemple, une étude a montré que dans le cas de la COVID-19, 59 % des fake news auraient été reconfigurées à partir d’informations existantes et 38 % auraient été fabriquées.
Plusieurs éléments rendent les fakes news plus efficaces :
- Le caractère inédit
- Un titre accrocheur associé à une photo sensationnaliste pour susciter l’émotion et générer de l’audience, puis du partage
- Un contenu fondé sur les failles des discours officiels, afin de rendre plus crédible l’information diffusée
- Un auteur pas toujours identifiable
Viralité des fausses informations
Une viralité semblable à un virus
Des chercheurs en cybersécurité de Stanford Engineering ont analysé la propagation des fake news comme s’il s’agissait d’une souche d’Ebola, à l’aide d’outils de modélisation de la propagation des maladies infectieuses.
Cette recherche montre que tout comme un virus, le fait d’être exposé plusieurs fois à des souches de fausses nouvelles peut diminuer la résistance d’une personne et ainsi la rendre plus vulnérable.
Autrement dit plus une personne est exposée à une fake news, surtout si elle provient d’une source influente, plus elle a de risques d’y adhérer.
Une propagation plus rapide des fausses informations
La désinformation semble se propager beaucoup plus rapidement et à plus grande échelle que les informations vérifiées.
C’est ce que démontre une étude analysant les informations vraies, fausses ou mixtes circulant sur Twitter.
En effet, le pourcentage de fausses rumeurs relayées était supérieur de 70% par rapport à celui des vraies informations, bien que des recherches aient souligné que ces estimations dépendent probablement de la plateforme sociale.
Une désinformation qui suit l’actualité
Selon plusieurs études, il semblerait que la désinformation suit l’actualité et soit principalement présente sur les réseaux sociaux plutôt que les sites internet.
En effet, une analyse de l’évolution des fausses informations sur la COVID-19 a montré que les fake news ont été essentiellement identifiées sur les plateformes de réseaux sociaux (88%) plutôt que d’autres sources comme les sites internet (7%) ou à la TV (9%).
En parallèle l’intérêt des utilisateurs pour des sources peu fiables voire complotistes a eu tendance à s’accroitre avec la pandémie.
Une incertitude qui favorise la persistance de la désinformation
L’incertitude est un facteur clé des fake news, puisque leur véracité incertaine provoque plus d’intérêt ou favorise de l’anxiété.
L’analyse de plus 4000 tweets relayant des rumeurs avant et après que la question de leur véracité a été résolue, a montré que des tweets soutenant des rumeurs non vérifiées circulaient plus largement que les tweets qui réfutaient les rumeurs. De plus, les rumeurs dont la véracité était prouvée avaient tendance à se dissiper plus vite que celles qui s’avéraient fausses.
Par ailleurs, le fait que les fake news persistent dans le temps pourrait s’expliquer ainsi par la faible visibilité des démentis et les croyances des utilisateurs.
Acteurs de la désinformation
Individus et groupes d’intérêts
Des individus mal intentionnés, motivés par des intérêts personnels ou idéologiques peuvent délibérément créer et diffuser de la désinformation en santé, via des sites web, blogs ou réseaux sociaux. En règle générale, la désinformation est promue par des personnes, profitant de l’attention limitée des internautes, qui cherchent à promouvoir des produits et traitements frauduleux, à semer la confusion ou à influencer les gens. Ce phénomène est majoré par les médias sociaux.
Concernant le profil type des individus qui créent des contenus de désinformation, ils ont souvent peu d’abonnés mais leurs publications sont partagées en masse. Les profils sont souvent créés après un évènement précis et semblent disparaitre par la suite.
La désinformation peut également se propager par le biais de personnes ne disposant pas des connaissances scientifiques ou de l’expertise nécessaire pour fournir des informations fiables.
Puis, certains groupes sont impliqués dans la promotion de fausses informations en matière de santé pour servir leurs intérêts.
Par exemple des groupes anti-vaccins utilisant la désinformation pour influencer l’opinion publique.
Enfin, des études ont mis en évidence qu’il pouvait s’agir de robots, élaborés avec des algorithmes à des fins trompeuses pour générer plus de vues.
Crédulité face aux messages des personnes influentes
Des personnalités publiques, célébrités ou influenceurs peuvent contribuer à la propagation de la désinformation, notamment en santé. Leurs opinions peuvent avoir un impact significatif sur le public, en raison de leur statut et de leur influence.
Selon, l’Oxford’s Reuters Institute pour l’étude du journalisme, les politiciens, les célébrités et d’autres personnalités publiques étaient responsables de la diffusion de 20% de fausses allégations concernant le coronavirus et leurs publications représentaient 69% de l’engagement total sur les médias sociaux.
En effet, les gens ont tendance à croire les personnalités omniprésentes dans les médias. Certaines personnalités disposent d’une expertise reconnue. Mais d’autres, même si elles disposent des compétences scientifiques nécessaires, sont prétendues expertes et s’avèrent être de grands propagateurs de désinformation.
Par exemple, un virologue exerçant à Marseille, a eu un rôle de « grand propagateur » de fausses nouvelle sur l’hydroxychloroquine.
Rôle des médias
Certains médias jouent un rôle dans la propagation de fausses nouvelles en matière santé. Cela peut concerner des médias peu fiables, publiant des informations sensationnalistes pour augmenter leur audimat.
C’est le cas de « Santé + Magazine » (Santeplusmag.com), à ne pas confondre avec la publication « Santé Magazine », qui publie un nombre important de contre-vérités, bien loin des exigences d’un site d’information sur la santé. Par exemple un article prétendait que l’on pourrait « utiliser le citron congelé contre le cancer ». Avec une page suivie par des millions d’abonnés sur Facebook, ce type de sites vivent de la publicité et ont donc intérêt à avoir un maximum de visiteurs.
Algorithmes et la propagation de la désinformation en santé
L’environnement Web et les algorithmes participent aussi au phénomène de propagation de fausses informations, notamment médicales, en amplifiant leur visibilité.
Rôle des algorithmes
Les algorithmes, ce sont des suites d’instructions/opérations et de calculs qui régissent la manière de fonctionner d’un système, dans l’objectif d’automatiser une tâche.
Dans les moteurs de recherche et sur les réseaux sociaux, cet ensemble de règles opératoires permet le plus souvent de retrouver des résultats triés dans un certain ordre. Les algorithmes servent entre autres à personnaliser le contenu auquel l’usager est exposé. Ils déterminent donc les sites, les articles, les publications, les publicités… qu’on voit passer.
Si on prend l’exemple de l’algorithme de tri des résultats du moteur de recherche google, l’ordre de priorité des résultats sera défini selon plusieurs facteurs. Parmi eux :
- Selon l’usager (sa langue, son emplacement…)
- L’optimisation et la qualité du contenu
- La vitesse de chargement de la page
- L’adaptation mobile….
Selon une analyse des résultats de recherche Google réalisée en 2019, le taux de clic est 10 fois plus important sur le premier résultat qui apparait, que sur le dixième.
Ainsi plus un résultat se positionne haut plus son taux de clics augmente. Ce comportement est lié au biais de position. Ce biais s’explique par le fait qu’une personne privilégiera une information située en haut d’une liste sans tenir compte de sa valeur ou de son importance. Cependant, il se peut que les premiers résultats, ne soient pas ceux qui sont les plus appropriés à notre recherche ou les plus pertinents….
Des données suggèrent que les algorithmes peuvent involontairement orienter l’exposition des utilisateurs vers des opinions qui ne sont pas soutenues par la science et la communauté médicale.
En effet, c’est ce que montre une analyse portant sur la manière dont les livres sur les vaccins apparaissent sur Amazon, en se concentrant sur les algorithmes de recherche et de recommandation. Cette étude a mis en évidence que le nombre de livres hostiles à la vaccination étaient deux fois plus nombreux que ceux favorables. Par ailleurs les trois livres les plus fréquemment recommandés était hostiles aux vaccins et les livres partageant des points de vue similaires sur les vaccins étaient recommandés ensembles.
La personnalisation du contenu
Sur les moteurs de recherche ou les fils d’actualités, les algorithmes montrent en priorité les contenus ou les résultats qui généreront le plus d’intérêt. Les résultats et les publications qui apparaissent en premier sont donc triés pour chaque utilisateur.
L’algorithme choisit pour l’usager ce qu’il voit… mais également ce qu’il ne voit pas. Ce phénomène de sur-personnalisation des contenus par les algorithmes est particulièrement présent sur les réseaux sociaux.
Chaque moment passé sur les moteurs de recherche ou plateformes renseigne les algorithmes sur les intérêts. C’est ce qui leur permet d’envoyer du contenu susceptible de plaire. Cette personnalisation de l’information comporte des avantages mais contribue à enfermer les internautes dans une bulle de filtres.
Les bulles de filtres
Une bulle de filtres correspond à l’environnement virtuel dans lequel les algorithmes enferment les utilisateurs qui ne consomment que des contenus en accord avec ses valeurs, croyances et opinions.
En effet, les personnes ont tendance à ignorer ou bloquer les informations qui vont à l’encontre de leurs croyances ou idées et à aller vers les informations qui confirment ce qu’elles veulent entendre.
Ainsi, pour garder un utilisateur le plus longtemps possible et susciter son engagement, les algorithmes proposent du contenu ciblé et personnalisé en lien avec les choix déjà effectués par l’internaute et donc susceptible de lui plaire. Il se retrouve alors enfermé dans une sorte de bulle d’isolement intellectuel et informationnel l’empêchant de s’ouvrir à d’autres points de vue ou connaissances.
Par exemple si un individu est opposé à la vaccination, il verra probablement plus de contenu négatif et erroné sur la vaccination et moins de contenu scientifique étoffé, sur le sujet. Par ce biais, les bulles de filtres favorisent ainsi la désinformation.
Autre piège technologique : Le vide de données
Le vide de données est lorsqu’il n’existe qu’une faible quantité de résultats pour une recherche sur un terme ou si un événement vient de se produire par exemple. Les moteurs de recherche tels que google n’aiment pas le vide, ils cherchent donc constamment à donner des résultats, même si ceux-ci sont de qualité et pertinence limitée. Ce vide informationnel peut être exploité pour manipuler les résultats de recherche, notamment lors de situation de crise comme une pandémie.
Psychologie : Compréhension de l’engagement en ligne
Il est important de comprendre les mécanismes qui incitent les internautes à adhérer à une fausse information.
Effet des émotions
Les nouvelles à haut contenu émotionnel, joueraient un rôle dans l’adhésion et le partage de la désinformation. En effet, les contenus générant des réactions émotionnelles fortes ont tendance à être plus facilement crus et partagés.
Des chercheurs du MIT, ont observé que les fausses nouvelles susceptibles d’être les plus relayées étaient celles qui inspiraient la peur, le dégout et la surprise.
Effet du type de raisonnement
Plusieurs études montrent que les individus qui font appel à un raisonnement analytique sont moins sensibles au contenu contenant de la désinformation par rapport à ceux qui utilisent la pensée intuitive. Cependant, la pensée analytique semble rarement sollicitée par les individus, lorsqu’ils sont en ligne.
Effet des biais cognitifs
Les biais cognitifs entrainent des distorsions dans notre traitement de l’information. Selon les neurosciences, Il existerait plus de 250 biais cognitifs (biais de popularité, de conformité ou effet halo…) qui pourraient expliquer la préférence pour les fakes news. En effet, les personnes sont naturellement plus sensibles aux informations qui correspondent à leurs croyances et idées préconçues.
Le plus connu est le biais de confirmation, c’est-à-dire notre tendance à préférer les informations qui confirment ce que l’on pense et à rejeter les autres. C’est un déterminant majeur dans la désinformation, car ce biais conduit les individus à rechercher ou interpréter des informations qui s’accordent avec leurs croyances et opinions.
Les algorithmes exploitent ce biais. En effet, Les fausses nouvelles qui circulent dans des bulles de filtres font souvent l’objet d’un biais de confirmation, en proposant du contenu susceptible de plaire. L’internaute étant peu soumis à des opinions contraires, il s’enfonce dans ses convictions et il ne vérifie plus l’information avant de la valider.
Exposition répétée et effet de la vérité illusoire
L’effet de la vérité illusoire semble également expliquer pourquoi les individus sont sensibles à la désinformation. C’est la tendance à croire en la véracité d’une information après une exposition répétée à cette information. Même si les gens croient que quelque chose n’est peut-être pas vrai, s’ils l’entendent à plusieurs reprises, ils ont tendance à le croire parce que cela semble familier.
La pertinence de la vérité illusoire a augmenté, étant donné que de nombreuses fausses informations peuvent être répétées par les médias populaires, les politiciens et les influenceurs des médias sociaux.
Par exemple, la fausse affirmation selon laquelle « la COVID-19 n’est pas pire que la grippe » a été répétée à plusieurs reprises dans les médias.
Le principal mécanisme cognitif responsable de cette vérité illusoire est la fluidité de traitement. C’est-à-dire plus une demande est répétée, plus elle devient familière et plus elle est facile à traiter. En d’autres termes, le cerveau utilise la fluidité comme un signal de vérité.
Il convient de signaler que d’autres facteurs individuels semblent être mobilisés pour expliquer la susceptibilité à la désinformation : l’âge, l’idéologie politique…
En résumé différents mécanismes (algorithmes, acteurs malintentionnés, biais psychologiques…) contribuent à la diffusion rapide et la viralité de la désinformation en ligne, notamment pour les fausses nouvelles en santé. Dans notre prochain article, nous explorerons plus spécifiquement la diffusion des informations de santé sur les médias sociaux.
Sources :
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- https://blog.digimind.com/fr/tendances/covid-30-fake-news-les-plus-repandues-sur-medias-sociaux
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