Avec internet et les médias sociaux, l’accès à l’information, notamment médicale est à portée de clic. Alors que la toile regorge de ressources médicales potentiellement utiles, elle est également parsemée de contenus trompeurs et de fausses affirmations. Cette désinformation peut entraîner des conséquences graves sur la santé et saper la confiance envers les institutions et acteurs de la santé. Il devient donc impératif de mettre en place des actions pour lutter contre ce phénomène. Cet article explore les principales stratégies (fact-checking, sensibilisation, réponses gouvernementales, implications des professionnels…) pour contrer la désinformation de santé en ligne.
Encourager le journalisme de vérification et fact-checking
Les sites dédiés au fact-checking
Le fact-checking ou « vérification des faits » est un ensemble de pratiques et d’outils qui permettent de vérifier la fiabilité d’une information. Selon Factcheck.org, il permettrait d’identifier les informations vraies ou fausses, en analysant plusieurs paramètres tels que l’émetteur, la source, le contenu ou encore le contexte.
Actuellement, ce sont essentiellement les organisations de médias classiques, via des journalistes affectés à la vérification des informations, qui jouent un rôle important dans les activités de fact-checking. On peut citer par exemple AFP Factuel (de l’AFP), Les décodeurs (du Monde) …
Pour lutter contre la désinformation l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a lancé Canal Detox, sous forme de courtes vidéos ou texte afin d’analyser l’actualité scientifique et vérifier les informations qui circulent dans le domaine de la santé et des sciences de la vie.
De même, pour identifier les informations scientifiques les CNRS (centre national de la recherche scientifique) a lancé sa chaine YouTube Zeste de sciences, destinée à la vulgarisation scientifique.
✅Le fact-checking constituerait donc un l’élément indispensable pour identifier les fake news.
Collaboration entre les institutions de santé et les médias
Par ailleurs, pour favoriser la vérification des faits dans le cadre de la santé, le Leem (les entreprises du médicament) préconise dans son rapport sur les fake news, de favoriser les liens entre les institutions de santé et les journalistes.
✅Le rapport suggère par exemple, d’aller à la rencontre des journalistes, en école de journalisme ou sur le lieu d’exercice, pour sensibiliser et ainsi limiter le partage de fake news médicales par les médias traditionnels.
Développer des outils technologiques de vérification
✅Travailler sur la mise au point d’outils de fact-checking automatisés, pourrait aider évaluer rapidement la véracité des informations de santé erronées.
Ce type d’outil permettrait d’identifier et vérifier rapidement des déclarations concernant les traitements, les symptômes, les maladies, les effets secondaires…afin de déterminer si une affirmation est vraie, fausse ou incertaine.
Sensibilisation et éducation du grand public à l’information en santé
Renforcer les connaissances grand public sur la santé
Favoriser l’acquisition de connaissances médicales de base par les internautes, les aidera à mieux juger la pertinence d’une information et à mieux débusquer une fake news en santé.
✅En partageant des ressources éducatives (infographies, vidéos, guides, articles informatifs…) pour aider les gens à différencier les informations vérifiées des contenus trompeurs en matière de santé.
✅En développant des chabots pour diffuser des informations de santé actualisées. Ces logiciels permettraient de répondre aux questions médicales les plus fréquentes et d’orienter vers les sites officiels
Réaliser des campagnes d’éducation du public sur la désinformation médicale
✅Apprendre aux utilisateurs à développer une approche critique lorsqu’ils consultent des informations médicales en ligne.
Nous l’avons vu précédemment que les personnes jouent un rôle dans la propagation des fake news en ligne. Il est donc important d’apprendre aux internautes à développer leur esprit critique pour analyser les informations rencontrées et éviter de partager de la désinformation. Pour cela, il serait nécessaire de les sensibiliser sur les réflexes à adopter via des outils éducatifs :
- Se méfier des titres sensationnalistes qui promeuvent des « traitements miracles »
- Vérifier, multiplier et recouper les sources afin de voir si l’information transmise est issue des consensus scientifiques ou de médias fiables
- Identifier l’auteur : est-il facilement identifiable ? Est-ce un expert reconnu ? quelles sont ses qualifications ?
- Ne pas partager une information médicale, si on n’est pas certain de sa véracité
- Analyser la forme du discours (langage employé, public ciblé, la production…)
- S’interroger sur la présentation de l’information : pourrait-elle servir des intérêts ?
En 2018, l’Université McGill de Montréal a conçu une vidéo utilisant les mêmes codes que les contenus de théorie du complot. La vidéo, partagée sur les réseaux sociaux, stipule dans la première partie « qu’il existait un remède contre le cancer que l’industrie pharmaceutique cachait » puis elle dévoile et analyse le subterfuge dans la deuxième partie.
Ce type d’outil a pour objectif de dénoncer les théories médicales crapuleuses et ainsi développer l’esprit critique des internautes
✅Sensibiliser sur la construction des informations dans le contexte numérique
Les techniques de mise en scène de l’information, telles que le storytelling, sont fréquemment utilisées dans les théories du complot ou pour diffuser de la désinformation. Il serait intéressant de sensibiliser les internautes sur ces techniques pour en minimiser l’impact.
✅Attirer l’attention sur le traitement de l’information visuelle
Ces dernières années, avec les réseaux sociaux, les contenus visuels ont pris une place importante dans la communication. De plus, les informations sont communiquées plus rapidement avec des images que du texte. Cela contribuerait à notre susceptibilité à la désinformation visuelle. C’est pourquoi, attirer l’attention et déterminer un cadre pour utiliser correctement les contenus visuels pourraient être utiles dans la lutte contre la désinformation.
✅Éduquer à l’identification des biais cognitifs
Les mécanismes cognitifs influencent la manière dont les individus interprètent une information. Dès lors, sensibiliser les personnes à l’identification de leur biais cognitifs pourrait diminuer l’adhésion aux fake news.
De plus, il serait pertinent d’attirer l’attention des personnes sur le rôle des algorithmes dans la mise en place de bulles de filtres.
L’inoculation psychologique
A l’image de l’immunité induite par la vaccination, cette théorie de l’inoculation psychologique suggère que la résistance à la persuasion pourrait être induite de façon préventive, afin de « s’immuniser d’un point de vue cognitif » contre les fake news.
Ainsi en exposant des personnes à de très faibles doses de désinformation réfutées, celles-ci pourraient développer une résistance anticipée contre de futures désinformations.
La recherche a mis en évidence que le fait de « vacciner » des individus contre des arguments complotistes sur la vaccination, avant l’exposition à une théorie du complot, a augmenté les intentions de vaccination.
D’autres données ont souligné, l’efficacité de l’inoculation psychologique pour lutter contre la désinformation pour de nombreuses applications dans le secteur de la santé, comme l’utilisation de la mammographie pour le dépistage du cancer du sein.
✅Les études sur l’inoculation psychologique ont donné lieu à l’élaboration de jeux vidéo, accessibles en ligne où les joueurs deviennent des créateurs de fake news. Ces jeux ont pour objectif d’aider les utilisateurs à identifier la désinformation, renforcer leurs capacités de discernement et réduire le partage de fake news
Un des exemples est le jeu GoViral. C’est un jeu d’une durée de 5 minutes, où les joueurs sont dans la peau d’un producteur de désinformation et sont exposés à des doses affaiblies de stratégie couramment utilisée pour diffuser des fake news sur la COVID-19. (GoViralGame).
Réponses gouvernementales
Mettre en place des politiques de lutte contre les fake news en santé
Plusieurs initiatives politiques pourraient être déployées pour lutter contre la désinformation médicale
✅Analyser les techniques de désinformation employées en ligne et les raisons qui motivent cette diffusion :
En mettant en place un observatoire pour identifier les sources de désinformation en santé et aider à coordonner des actions pour contrer les fausses informations
✅Responsabiliser les internautes qui diffuse des fausses informations de santé :
Avec des réglementations visant à responsabiliser les créateurs et diffuseurs de désinformation médicale en ligne.
✅Promouvoir et faciliter l’accès à des sources d’information fiables :
En mettant plus en avant les sites web de sources médicales fiables, tels que les organismes de santé, les associations médicales reconnues, les universités ou encore les instituts de recherche.
✅Favoriser la communication d’informations de santé vérifiées, accessibles et actualisées, auprès du grand public :
Via des campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux et sur les sites web.
Par exemple, lors de la pandémie de COVID-19, l’Infectious Diseases Society of America (IDSA) a joué un rôle actif dans la création d’un podcast mettant en vedette des experts. L’IDSA a également régulièrement mis à jour son site, afin que les membres aient toujours accès aux informations sur COVID-19 les plus récentes.
Collaboration internationale ?
La désinformation médicale est un phénomène mondial. Favoriser la coopération internationale pour partager les meilleures pratiques et les stratégies de lutte contre la désinformation médicale pourrait être une piste.
En mai 2020, l’Organisation mondiale de la santé a adopté la résolution WHA73.1, reconnaissant l’importance de gérer les conséquences de « l’infodémie » associée à la COVID-19. Cette résolution invitait les États Membres à :
- Proposer un contenu vérifié concernant la COVID-19 au public,
- Prendre des mesures contre la diffusion d’informations trompeuses dans la sphère numérique
- Prévenir les activités en ligne préjudiciables qui perturbent la riposte sanitaire.
Rôle des plateformes numériques
Les plateformes en ligne ont un rôle à jouer dans la détection et la lutte contre la désinformation médicale.
Avec la COVID-19, certaines plateformes ont mis en place des outils de modérations tels qu’ajouter des « tags » sur les informations mensongères ou encore développer des outils de signalement d’information douteuse. Cependant, elles doivent aller plus loin dans leurs efforts. Pour cela plusieurs stratégies pourraient être envisagées :
✅La première serait d’améliorer la qualité et l’efficacité des outils de signalement de la désinformation :
En simplifiant les outils de signalement et en donnant la possibilité à l’utilisateur des plateformes de renseigner des données contextuelles d’une fake news
✅Ensuite, les médias sociaux devraient être encouragés à prendre des mesures pour rendre plus visibles les sources d’information fiables en santé :
En modifiant leurs algorithmes de recommandations pour qu’ils prennent en compte la source ou l’exactitude des informations, plutôt que de promouvoir des publications qui génèrent l’engagement des utilisateurs.
✅Puis, les plateformes en lignes devraient être incitées à mettre en œuvre des politiques plus strictes concernant la diffusion des informations médicales et s’engager à supprimer les contenus qui enfreignent ces règles :
En créant des équipes éditoriales d’experts pour suivre et supprimer les données erronées. Ces équipes pourraient mieux répondre aux messages trompeurs en les supprimant ou en les étiquetant publiquement comme des informations potentiellement erronées.
Certaines plateformes ont déjà mis en place ce type d’efforts de manière informelle, comme Reddit qui permet aux membres de la communauté de documenter et de signaler la désinformation.
✅Enfin, une autre action pourrait être, d’impliquer les communautés en ligne :
En favorisant des groupes de discussion et des forums où les membres peuvent échanger des informations fiables et discuter des questions de santé.
Par ailleurs, des outils d’intelligence artificielle, pourraient constituer une approche prometteuse, en détectant, analysant et modérant les contenus de désinformation médicale.
Impliquer la communauté scientifique et les experts de la santé
Encourager l’engagement des professionnels de santé
Les experts et les professionnels de la santé font partie des personnes les mieux placées pour désamorcer la désinformation et diffuser des informations médicales précises et fiables en ligne.
Ils doivent donc être encouragés à s’engager en ligne pour fournir des informations vérifiées lorsqu’elles sont disponibles. Mais aussi, pour combattre la désinformation en identifiant les publications trompeuses et en fournissant des réponses étayées, par des données scientifiques. Pour cela, il semble nécessaire de former et de donner des outils aux professionnels de santé.
Plusieurs pistes ont été explorées dans la littérature, parmi elles, repenser certaines unités d’enseignements dans le cadre de la formation initiale ou continue des professionnels de santé :
✅Intensification de la lecture critique d’articles et d’internet, via par exemple des cours en ligne ou des MOOCs. Ceci dans le but de permettre aux professionnels d’analyser les informations médicales retrouvées sur Internet, d’identifier les fake news et d’y répondre de façon optimale.
✅Intégration de modules consacrés à la désinformation en santé dans les missions du service sanitaire des étudiants en santé. L’objectif serait de donner des clés pour réagir face aux fake news en santé et répondre aux internautes par une approche pédagogique.
Développer le rôle et les partenariats avec des influenceurs santé
Les influenceurs santé sont des personnes qui disposent d’audiences importantes sur les réseaux sociaux et qui parlent de santé. Parmi eux, on distingue 2 types de créateurs de contenus :
- Les patients qui évoquent leur pathologie ou leur vécu au quotidien. On peut citer stomiebusy, suivie par plus > 100 k sur Instagram. Atteinte de la maladie de Crohn, elle décrit sa maladie au quotidien sous forme de BD
- Les professionnels de santé (médecin, pharmacien, dentiste…) qui prodiguent des conseils santé ou vulgarisent des notions médicales au travers des médias sociaux. Parmi eux on peut citer : Docteur Iza, médecin pathologiste, suivi par 1.7M abonnés sur TikTok et > 130 k abonnés sur Instagram. Ou encore Robin Goncet, étudiant en médecine qui vulgarise les techniques chirurgicales en opérant des fruits sur TikTok suivi par >300 k abonnés
✅Ces créateurs de contenu ont donc un rôle à jouer dans la lutte contre la désinformation en matière de santé et les fakes news. En effet, leurs interventions permettent d’ouvrir le débat, de lancer la discussion avec leur communauté, d’apporter de la connaissance et de donner des réponses simples aux interrogations des internautes.
Impliquer la communauté scientifique et les associations reconnues
✅La communauté scientifique doit s’impliquer plus activement dans la communication avec la population pour augmenter sa zone d’influence dans l’espace numérique.
Une communication efficace pourrait être facilitée par :
- Vulgarisation scientifique : communiquer de manière simplifiée les données scientifiques via des messages clairs et accessibles
- Communiquer les incertitudes : expliquer les éléments pour lesquels, il existe un doute ou un manque de recul
- L’anticipation des fake news : par l’identification des préoccupations des internautes ou des informations susceptibles d’être mal interprétées et utilisées à mauvais escient.
Enfin outre le partage d’informations exactes, la communauté scientifique doit combattre et démystifier la désinformation.
Un exemple de stratégie pour démystifier la désinformation était un tweet de la Food and Drug Administration (FDA). Il s’agissait d’un avertissement contre l’utilisation hors AMM de l’Ivermectine animale (antiparasitaire) pour traiter le COVID-19 déclarant : « Vous n’êtes pas un cheval. Vous n’êtes pas une vache. Sérieusement, vous tous. Arrête ça. » ce tweet était lié à un article intitulé « Pourquoi vous ne devriez pas utiliser l’Ivermectine pour traiter ou prévenir la COVID-19 ».
✅Par ailleurs, les associations médicales ou encore les universités pourraient également jouer un rôle crucial en diffusant des messages d’information médicale exacte et corrigeant les fausses qui circulent en ligne.
La lutte contre la désinformation médicale en ligne est un défi, qui exige une approche multifacette et collaborative. Les stratégies énoncées ci-dessus ne représentent que quelques-unes des approches possibles pour faire face à ce phénomène. Mais en combinant ces efforts éducatifs, technologiques, réglementaires et collaboratifs, il est possible de réduire considérablement l’impact de la désinformation sur la santé.
Sources :
- https://conseilsdejournalistes.com/fact-checking/01-le-fact-checking-quest-ce-que-cest/
- https://blog.digimind.com/fr/tendances/fake-news-ressources-essentielles-pour-apprendre-comprendre-lutter-contre
- https://presse.inserm.fr/le-canal-detox/
- https://www.youtube.com/@ZesteDeScience/about
- Le Boulengé O., Doumont D., Aujoulat I. (2022). « Décoder la santé » : comprendre les fake news pour vérifier l’information en santé. Woluwé-Saint-Lambert: UCLouvain/IRSS-RESO,40p. https://decodelasante.be/wp-content/uploads/2022/05/decodelasante_synthesedelalitterature.pdf#page82
- https://www.leem.org/sites/default/files/2021-04/Leem-LivreBlanc-FakeNews.pdf
- https://www.goviralgame.com/books/french/
- https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03426283/document
- https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/l-universite-mcgill-publie-une-video-denoncant-les-astuces-des-videos-complotistes-sur-le-cancer_125867
- https://www.sante-sur-le-net.com/infographies/
- Van der Linden, S. Misinformation: susceptibility, spread, and interventions to immunize the public. Nat Med 28, 460–467 (2022). https://doi.org/10.1038/s41591-022-01713-6 https://www.nature.com/articles/s41591-022-01713-6
- https://www.who.int/fr/news/item/23-09-2020-managing-the-covid-19-infodemic-promoting-healthy-behaviours-and-mitigating-the-harm-from-misinformation-and-disinformation
- https://www.naobee.fr/le-secteur-de-la-sante-explose-sur-les-reseaux-sociaux-influenceurs-sante-live-demonstration/
- https://www.bfmtv.com/replay-emissions/prenez-soin-de-vous/influenceurs-sante-qui-sont-ils-25-09_VN-202209250032.html
- https://www.who.int/europe/fr/news/item/01-09-2022-infodemics-and-misinformation-negatively-affect-people-s-health-behaviours–new-who-review-finds
- Desai AN, Ruidera D, Steinbrink JM, Granwehr B, Lee DH. Misinformation and Disinformation: The Potential Disadvantages of Social Media in Infectious Disease and How to Combat Them. Clin Infect Dis. 2022 May 15;74(Suppl_3):e34-e39. doi: 10.1093/cid/ciac109. PMID: 35568471; PMCID: PMC9384020. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9384020/
- https://www.factcheck.org/2021/09/scicheck-ongoing-clinical-trials-will-decide-whether-or-not-ivermectin-is-safe-effective-for-covid-19/
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