Savez-vous pourquoi vous passez autant de temps sur les réseaux sociaux ?
Dans notre précédent article nous avons vu comment les réseaux sociaux peuvent influencer nos choix via le design de l’attention et plus précisément des Dark Pattern. A présent, découvrons comment les réseaux sociaux nous maintiennent attentifs grâce aux biais cognitifs de la récompense, de la peur de manquer et de l’approbation sociale.
Pour débuter, il essentiel de comprendre comment le design de l’attention peut être utile aux réseaux sociaux pour nous rendre accro à leur plateforme : la création d’une habitude est la clé.
La création d’une habitude via le design de l’attention : modèle Hook
D’après Nir Eyal, qui a théorisé le modèle Hook en 2000 dans « Hooked : comment créer un produit ou un service qui ancre des habitudes », elle repose sur quatre actions, comme un cycle (1,2):
- Le déclencheur (ou trigger) : un déclencheur interne est intimement relié à nos émotions. Tandis que l’externe est relié à l’environnement extérieur, comme les notifications ; Ces dernières poussent les internautes à l’action via un call to action (CTA). C’est pourquoi les réseaux sociaux utilisent de nombreux déclencheurs pour favoriser l’action.
- L’action : le déclencheur aboutit à une action (en faveur de l’objectif voulu par le réseau social appelé CTA). Afin que l’action soit réalisée, le déclencheur (trigger) doit être à un moment où l’internaute possède la capacité et la motivation pour réaliser cette action. Les chances que l’internaute effectuent cette action dépend de la facilité d’exécution et de la motivation de l’internaute. C’est pourquoi, les réseaux sociaux ont facilité au maximum leurs fonctionnalités et facilité le passage à l’action.
- La récompense : ce dont l’internaute bénéficie en effectuant cette action ; par exemple : les interactions (j’aime, partage, commentaire), la gamification. Ce qui nous intéresse dans cet article, et ce que nous creuserons.
- L’investissement : le temps que l’internaute consomme afin d’augmenter ses chances de recommencer et ainsi bénéficier d’une autre récompense. C’est la préparation pour recommencer le cycle, pour le prochain trigger.
Ce cycle représente la base des réseaux sociaux pour inciter l’internaute à rester plus longtemps sur la plateforme : l’instauration d’une habitude favorisant une possible addiction. Plus les internautes passent du temps sur les plateformes, plus elles génèrent du profit.
Le système de récompenses
D’après Bruno Patino, Journaliste et patron de presse française « la captologie est le fondement des réseaux sociaux ». (3) Les plateformes se sont basées sur une expérience réalisée par des chercheurs de l’Université de Harvard en 1930 sur des souris.
Elles avaient été installées dans une cage avec un système fournissant de la nourriture dès lors qu’elles actionnaient un levier. Dans ce cas, la souris n’appuyait que lorsqu’elle avait faim. Les chercheurs ont modifié le dispositif de façon à ce que la récompense arrive de manière « aléatoire ». Ainsi, si la souris appuyait, elle pouvait recevoir ou non de la nourriture. Il a été constaté que dans cette situation, la souris appuyait sans arrêt sur le levier, même lorsqu’elle était rassasiée.
Ce principe a été réutilisé sur les plateformes pour augmenter le temps passé des internautes sur ces réseaux sociaux à travers des récompenses aléatoires. Ces dernières stimulent notre aire tegmentale ventrale (système limbique) le siège des circuits neuronaux de la récompense, le siège de l’affectivité et de la mémorisation, dit « cerveau intuitif et émotionnel ». Sa stimulation libère la sécrétion de dopamine, un neurotransmetteur lié au plaisir jouant un rôle central dans la modification du comportement et plus précisément dans l’addiction.
D’après Larry Rosen, psychologue à l’université de Californie,
« les récompenses créées par les géants du numérique, sont comparables aux plaisirs procurés par l’alimentation ou même le sexe. » (4)
Les mécanismes de récompense sont plus efficaces et appréciés par le cerveau humain quand elles sont immédiates et aléatoires (comme l’a démontré l’expérience de la souris).
« Nous sommes tous vulnérables à l’approbation sociale. Le besoin d’appartenance, ou d’être apprécié par nos pairs figure parmi les motivations humaines les plus élevées. Mais maintenant, notre approbation sociale est entre les mains des entreprises de haute technologie. », d’après Tristan Harris. (5)
Un système s’appuyant ainsi sur un biais cognitif que nous avons déjà vu : le biais cognitif de conformité sociale reposant sur un besoin humain fort qui est l’approbation sociale.
Sur le groupe Meta
Notre cerveau considère les « j’aime » comme un outil d’approbation ultime, estime B.J. Fogg professeur en neuroscience. (6) Chaque like, chaque nouveau follower est une récompense pour notre cerveau et déclenche ce bien-être grâce à un shoot hormonal notamment la dopamine.
C’est ainsi que ces derniers mettent en avant ce qui est populaire chez nos amis , car nous avons tendance à nous conformer à ce que fait notre entourage.
De plus, les réseaux sociaux s’appuient sur un autre biais cognitif que nous avons vu dans un précédent article, l’effet de pénurie, la peur de manquer. L’ensemble des fonctionnalités (où nous pouvons voir la vie d’autrui) tend à nous pousser à l’action en appuyant sur ce biais. En marketing, nous appelons cela la méthode FOMO : la peur de manquer quelque chose en ligne.
Sur snapchat
Pour rendre son réseau social addictif, Snapchat entretient le principe de la « gamification ». (7,8) C’est le fait d’appliquer le principe du jeu dans le but de motiver et d’engager les utilisateurs dans leur utilisation de la plateforme. Par exemple, l’application nous maintient actif grâce à son système de flamme ou « Snap Streak » : un compteur d’interaction. Cela correspond aux nombres de jours consécutifs où nous « envoyons un Snap » à la même personne. Cette méthode stimule notre système de récompense et nous pousse à ne pas perdre les flammes en continuant à être actif : cela crée une habitude.
Snapchat instaure une habitude (1,9) grâce au système de flammes et en utilisant les souvenirs. Ce sont des déclencheurs qui mènent à une action : envoyer un Snapchat. Celle-ci mène à une récompense notamment en préservant ces flammes et en recevant un Snapchat en retour.
Des méthodes similaires à une machine à sous : flux infinis (rabbit hole)
Les réseaux sociaux proposent un flux infini de contenu, les flux sont conçus pour se remplir automatiquement de manière personnalisée. De manière à ce que l’internaute continue de faire défiler l’écran : « rabbit hole ». Ce phénomène l’empêche de faire une pause ou de quitter l’application.
« Une autre façon de détourner l’esprit des gens est de les garder actifs, même lorsqu’ils n’en ont plus envie », d’après Tristan Harris. (5)
Le geste de « faire glisser le doigt » n’est pas anodin. C’est un geste qui maintient l’internaute captif, note Tristan Harris :
« Cela fonctionne comme une machine à sous. Cette option présente les mêmes propriétés addictives que celles qui rendent accros ceux qui visitent Las Vegas. Lorsque nous faisons glisser notre doigt vers le bas pour faire défiler le fil d’infos Instagram, nous jouons à une machine à sous pour voir quelle photo viendra ensuite » (5)
De même, lorsqu’une notification rouge apparaît pour nous avertir d’un message, cela représente une récompense similaire à une machine à sous
« lorsque nous appuyons sur la notification rouge, nous jouons à une machine à sous pour voir ce qu’il y a en dessous »
D’après vous, utiliser ces biais cognitifs (récompense, peur de manquer, approbateur social) pour accroître son chiffre d’affaires c’est éthique ?
Merci pour votre lecture !
(2) Fabrice Payet. Le modèle Hook ou comment rendre son produit addictif ? FabricePayet. (11/18)
(3) Gilliard Laurent Pierre. Bruno Patino : La Civilisation du Poisson Rouge. Educavox.(10/21)
(5) Onur Karapinar. Comment la technologie pirate l’esprit des gens. Medium. (06/2016)
(6) 115 Leo Favier. dopamine-instagram-transcription. Document PDF. (2019)
(7) Juliette le Gloan. Snapchat : comment les filtres nous piègent-ils ? Numérique Investigation.