Le spectateur contemporain, autrefois fidèle aux fauteuils écarlates des théâtres, a migré vers un sanctuaire plus intime : son canapé. À l’ère où nos divertissements tiennent dans nos poches, le spectacle vivant doit rivaliser avec une véritable épidémie de Home-close ou de veut-pas-sortir-non-merci. Ce changement de paradigme dans nos pratiques culturelles, facilité par la modernité (et d’autres causes moins sympa) oblige le secteur à une compétition féroce pour retenir l’attention d’un public qui peut désormais s’évader dans des mondes fictionnels sans quitter le cocon de son salon. Comment raviver l’envie des spectateurs de vivre pleinement l’expérience d’une scène en direct ? Bref, comment les faire passer du canapé à la scène.
ÉTAT DU SECTEUR : CAUSES ET CONSÉQUENCES
Le home close : pandémie, recul des sorties, et nouvelles attentes
2020, le début de la fin. Les sorties culturelles, autrefois une nécessité pour s’évader de son quotidien, ont cédé du terrain face aux impératifs sanitaires. Notre spectateur 2.0, en quête de confort, a érigé son domicile en véritable forteresse culturelle. « Depuis la réouverture et la mise en place du pass sanitaire, seulement 27 % des amateurs de musique avaient assisté à un concert et les amoureux des planches n’étaient que 25 % à revenir au théâtre.« . Dans cet article du Monde, la journaliste Sandrine Blanchard établit clairement que le public français est majoritairement devenu « une communauté d’adeptes du cocooning généralisé ». Elle s’appuie sur un appel à témoignage dont les résultats démontrent une modification majeure des pratiques culturelles après deux années de Covid-19.
Syndrome du spectateur casanier : un diagnostic inévitable
La commodité de la consommation culturelle depuis chez soi a éloigné le public des scènes. Les plateformes de streaming et les réseaux sociaux ont créé un écosystème où le divertissement est disponible à la demande. « Jamais les Français n’ont autant “consommé” de culture, mais deux mondes se côtoient sans vraiment se croiser, celui du patrimonial et celui du numérique.« . Dans cet article du Monde, les journalistes Guillaume Fraissard et Michel Guerrin parlent d’une consommation culturelle fracturée, qui ne serait plus seulement définie selon un principe d’écart générationnel mais sur les bases d’un véritable changement de paradigme des pratiques culturelles elles-mêmes. Si la pandémie a très largement accéléré un système d’accès culturel depuis chez soi, ce nouveau modèle était déjà en place. Il a juste été dopé sous Covid-19, mais ça n’était qu’une question de temps. Tudum.
L’Avènement de l’ère du swipe
Le spectateur casanier 2.0 n’a plus le temps. La montée en puissance des plateformes de streaming, des réseaux sociaux débordant de contenus culturels, et la facilité d’accès aux divertissements ont créé un paysage où le divertissement est roi, disponible à la demande. Si cette créature moderne hybride, mi-humaine mi-mécanique avec son smartphone comme prolongement du bras, n’est pas intéressée par votre contenu dans les premières secondes, ça swipe. Maxime Tellier, journaliste France Culture, parle dans son article d’une “société hyperconnectée, marquée par l’infobésité” dans laquelle “notre temps d’attention se réduit de plus en plus et la durée de vie des contenus que nous consommons aussi.”. Dans cette ère du swipe, où l’attention est devenue une denrée rare, comment le spectacle vivant peut-il réclamer sa place légitime ?
LE MARKETING DIGITAL : LEVIER NÉCESSAIRE
Et si c’étaient dans nos maux que se cachaient les remèdes les plus efficaces ?
Longtemps considéré comme un ennemi, un concurrent , voir comme l’anti-spectacle-vivant par excellence, le numérique semble pourtant devenir aujourd’hui un outils indispensable de langage. En 2021, l’Observatoire des Politiques Culturelles a par ailleurs dédié son 58e numéro à l’Art d’humaniser la civilisation numérique. Lisa Pignot et Emmanuel Vergès parlent d’une nécessité pour les acteurs culturels de changer de posture « Et si humaniser la civilisation numérique était d’en penser les convivialités ? Et si les possibilités contributives offertes par l’espace digital incarnaient, humanisaient, d’autres manières et formes de communication entre individus ? Pourquoi ne pas développer une stratégie adaptée à l’ère numérique ? N’est-il pas temps ? ».
Management dans la culture : « Il faut sortir de l’ère du bricolage »
« Il y a quinze ans, mon état d’esprit pouvait se résumer à cette phrase que mon directeur, Dominique Delorme, et moi répétions sans cesse : “Ne pas faire de management, c’est déjà faire du management.” Nous avons constaté, à nos dépens, que c’était faux… ». Dans un contexte où le secteur culturel peine à attirer et retenir des profils dynamiques, l’ancien administrateur des Nuits de Fourvière, Cyril Puig, souligne dans un article de l’Obs l’importance du management et de la professionnalisation des relations de travail pour relever ce défi. Il insiste sur la nécessité d’abandonner la mentalité du « zéro management » au profit d’une approche axée sur la bonne gouvernance.
L’ironie est troublante.
En réalité, c’est l’utilisation d’un marketing digital réflexif et travaillé avec précision qui pourrait permettre aux structures du spectacle vivant d’inviter les publics à entrer dans une salle de spectacle… pour y éteindre leurs téléphones et couper du monde. Et pourtant, aussi contradictoire que cela puisse paraître, c’est pourtant bien un véritable engagement numérique qui pourrai permettre aux acteurs du spectacle vivant de rester compétitifs. Dans cette perspective, le marketing digital émerge comme un outil essentiel, offrant des opportunités de séduction et de fidélisation de nouveaux publics, ainsi que de valorisation de l’image et des activités culturelles. Run, marketing digital, run.
1ère étape : DEVENIR COOL
Cet article est le premier d’une série visant à partager un mode d’emploi, un guide ou un recueil réconfortant pour tenter de comprendre les nouvelles pratiques culturelles des spectateurs et de définir quelles sont les stratégies webmarketing à mettre en place pour les amener à passer du canapé à la scène. Merci pour votre attention, c’est reparti, let’s go.
Créativité et authenticité : marketing émotionnel
Dans un monde numérique saturé, la simple promotion de produits ou de services ne suffit plus à établir un lien émotionnel avec le consommateur. Il devient crucial de maintenir une distance réfléchie vis-à-vis des contenus promotionnels, d’adopter une approche décontractée et de démontrer que l’objectif dépasse la simple vente. Selon un article de la Revue du Digital, qui s’appuie sur une étude de Bazaarvoice, les consommateurs français accordent désormais plus de crédibilité aux avis de Monsieur et Madame Tout-le-monde qu’aux influenceurs renommés. Cette tendance met en lumière l’importance croissante de l’authenticité en ligne, où chaque individu peut partager honnêtement ses opinions sur les produits et marques. Les utilisateurs ordinaires deviennent ainsi des influenceurs inattendus, générant une confiance accrue parmi les consommateurs.
· Exemple : du story-telling au story-doing
Dans notre mode d’emploi pour devenir cool, l’adoption d’une approche de storydoing est cruciale. Cette stratégie va au-delà de la simple narration en privilégiant la création d’expériences tangibles et interactives. Cela crée une connexion plus intense et engageante, car les spectateurs ne sont pas simplement des publics, mais des participants actifs dans l’histoire. Avec le storydoing, faites de vos spectateurs les héros de votre projet. Un exemple sympa c’est l’onglet « Paroles de spectateurs » du Théâtre du Nord qui publie différents portraits de leur public : un moyen de donner une visibilité aux personnes qui prennent leurs places et de créer un sentiment de confiance pour les nouveaux utilisateurs.
Réduction du texte : le pouvoir de la concision
Lire c’est bien, mais c’est parfois difficile. Gérard ne veut pas l’admettre, les jeunes n’aiment plus rien faire, Molière est mort et les Millenials vont tous nous tuer, d’accord. C’était mieux avant, d’accord. Bon. En attendant, c’est un constat clair. Notre regard, notre attention et notre réflexion sont de plus en plus difficiles à capturer à l’ère du numérique. Après la journée interminable au travail, l’examen qui ne s’est pas aussi bien passé que prévu, le spectateur n’a pas envie de lire un récit extrêmement-complexo-littérae-académico-chiant. En adoptant une approche cool, un ton chaleureux et jovial, en injectant de l’humour et en optant pour des formats textuels raccourcis, les structures de spectacle vivant peuvent abattre la barrière élitiste du privilège et établir une connexion profonde avec des publics diversifiés.
· Exemple : être drôle, et (surtout) pas condescendant
Les newsletters Libé Culture sont de très bons exemples. Adopter un ton humoristique (pour éviter de vous prendre trop au sérieux), éviter toutes conjonctures narcissiques (ce n’est pas aux publics de s’accoutumer à vous, mais l’inverse) et enfin, établir en amont des stratégies web-marketing ciblées sur vos pratiques, vos publics et vos propositions artistiques. Un passage à une communication légère et authentique crée un espace où le public se sent invité et compris. Attention, ça ne veut pas dire qu’il faut diminuer la qualité de contenus mais identifier clairement les différents paliers de lectures (comme conserver des ressources plus documentées sur le site web, partager des articles de presse, préparer des dossiers pédagogiques, etc…).
Vidéos courtes : immersion en quelques secondes
Une des raisons pour lesquelles la réduction du texte est privilégiée en marketing digital est l’écrasante surpuissance du contenu vidéo. Les campagnes réussies capturent l’attention en un clin d’œil, utilisant des messages concis et percutants. Pour redonner une vitalité au spectacle vivant, cette approche peut être adaptée en créant des teasers intrigants, courts, incisifs. Ces teasers pourront susciter la curiosité des spectateurs potentiels, les incitant à quitter le confort de leur domicile pour découvrir la suite de l’histoire sur scène. Rien de bien transcendant, mais pourtant, c’est une clé importante du renouvellement marketing des structures culturelles. Habituellement marquées par une tradition très écrite et documentée, elles doivent pouvoir aussi défendre l’image et la vidéo (pour leur propre bien).
· Exemple : L’influence de Brut et TikTok sur la communication visuelle
Depuis TikTok, les vidéos courtes ont révolutionné le rapport à l’information. Prenons l’exemple de Brut : ce média axé sur des contenus vidéo plutôt que textuels, s’est adapté à la façon dont l’audience contemporaine consomme majoritairement l’information. Les clips de quelques secondes peuvent transmettre un message de manière mémorable, très rapidement. Les structures et compagnies de spectacles vivants doivent se saisir davantage de ces stratégies comme d’une nécessité. L’objectif est clair : une augmentation de l’engagement sur les médias sociaux, une plus grande visibilité en ligne et une conversion accrue des spectateurs potentiels.
Branding : forger une identité mémorable
Devenir cool, c’est aussi (et surtout) être approchable, montrer patte blanche, et dévoiler une identité qui résonne avec le public cible. Le branding devient donc la pierre angulaire de votre stratégie. Forger une identité mémorable ne se limite pas à une simple reconnaissance visuelle et sonore, mais constitue un moyen essentiel de se différencier dans le paysage culturel saturé. Il va au-delà du logo ou du nom, il s’agit de définir ce qui constitue l’essence même de votre lieu culturel. C’est creuser au-delà du visuel pour définir ce qui rend votre spot unique. Cette identité doit refléter la personnalité unique du lieu, ses valeurs, sa mission, et la manière dont il se distingue des autres. Un branding réussi crée une connexion émotionnelle avec le public, l’invitant à s’immerger non seulement dans les spectacles, mais aussi dans l’expérience complète du lieu.
· Exemple : se raconter pour mieux se connecter
Se raconter sans filtre. Il ne s’agit pas seulement de partager la programmation, mais de raconter l’histoire du lieu, de dévoiler les coulisses, et de présenter l’équipe comme des potes de toujours. On se lance dans les commérages légers du jour, du procrastinateur en chef au repas du midi – Quelqu’un a encore pris des pâtes au saumon ? On partage aussi les derniers éclats de rire provoqués par un spectacle, les vibrations très sonores de l’exposition en cours et la pause café avec les artistes en résidence en ce moment. La communication, c’est aussi raconter qu’il y a de véritables personnes qui font vivre le lieu. Et, une équipe identifiée, c’est une équipe qui peut nouer des liens, créer des connexions, bref se faire des potes…
(Mais ça, c’est le sujet du prochain article).
Rédigé par Sarah Tcheir
Promotion 32 -Média Institute
Apprentie en communication,
et relations avec les publics dans une Scène Nationale
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Pour connaître les articles suivants du guide « Du canapé à la scène » :
→ Devenir potes : Comment mieux connaître les publics ?
→ Du virtuel au réel : créer l’itinéraire
→ Maintenant que t’es là, reste ici