Avec 37.5 millions d’utilisateurs mensuels en France, et un internaute français sur deux consultant le site de façon quotidienne, la plateforme Youtube est devenue un média incontournable, et les politiques l’ont bien compris. Pourtant, tous et toutes ne l’ont pas investie avec la même habileté. Jean-Luc Mélenchon, lors de sa campagne pour les élections présidentielles de 2017, a su s’emparer de cet outil pour amplifier sa présence médiatique et construire une stratégie digitale engageante.
Youtube, média incontournable dominé par Jean-Luc Mélenchon
37, 5 millions : c’est le nombre de français qui se rendent chaque mois sur Youtube. En France, un internaute sur deux se rend sur la plateforme au moins une fois par jour, un chiffre qui est beaucoup plus élevé chez les 16-24 ans, puisqu’il atteint 80% dans cette tranche d’âge.
Jean-Luc Mélenchon a su s’approprier les codes de la plateforme : des playlists dédiées à chaque type de contenu (Revue de la semaine, Vlog, Esprit de campagne, Discours et meetings, Manifestations et rassemblements…). Chacune de ces playlists a son propre hashtag, chaque pastille son propre générique et son visuel.
D’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon ne nie pas s’être inspiré de recettes ayant fait leurs preuves. D’abord, celles de Podemos, le parti espagnol d’extrême gauche. “Pas vu à la télé”, dont la première vidéo est postée sur la chaîne de JLM en 2016, reprend le principe de La Tuerka, émission phare du mouvement de gauche radicale. Il s’agit de mettre en lumière des personnalités et des causes peu médiatisées. Ensuite, Jean-Luc Mélenchon s’est demandé quelles vidéos sa cible électorale potentielle était susceptible de regarder, pour s’en inspirer dans la conception de sa chaîne : “J’ai regardé les vidéos de Ludo d’Osons causer (une chaîne Youtube de vulgarisation politique orientée à gauche, ndlr) que j’ai trouvées très pertinentes […] J’ai compris ce que c’est que d’être un youtubeur en le regardant, j’ai appris à son contact”. En investissant Youtube, Jean-Luc Mélenchon va chercher sa cible là où elle se trouve. Surtout, c’est une stratégie redoutable pour convaincre les jeunes de 18 à 25 ans, dont 52% sont abstentionnistes (source IFOP), et qui sont massivement présents sur la plateforme.
Cette stratégie s’est montrée particulièrement efficace, puisque la chaîne de Jean-Luc Mélenchon fait aujourd’hui partie des chaînes politiques les plus suivies dans le monde, avec plus de 413 000 abonnés. A titre de comparaison, Emmanuel Macron n’a que 29000 abonnés. La chaîne de Donald Trump quant à elle compte 151 000 abonnés. Les vidéos de Mélenchon sont vues des centaines de milliers de fois et recueille des milliers de commentaires.
Contourner les médias traditionnels
Assis de trois-quart face, le dos tourné à son bureau sur lequel des piles de dossiers sont posées pêle-mêle, Jean-Luc Mélenchon semble s’être interrompu dans une longue journée de travail. Ordinateur allumé, tasse de café entamée, des cadres que l’on devine sur le mur derrière lui : cela pourrait être votre bureau. Dans cette 83e “Revue de la semaine”, mise en ligne le 21 janvier 2019, Jean-Luc Mélenchon décrypte l’actualité récente, des gilets jaunes au Grand Débat. Le ton est calme et posé, décontracté mais sérieux, dans ce qui veut ressembler à une analyse journalistique. Pourtant, le ton est évidemment partisan et les actions du gouvernement critiquées.
Jean-Luc Mélenchon réussit, avec cette playlist inaugurée le 8 octobre 2016 par une vidéo d’une vingtaine de minutes, un véritable tour de force : devenir le média à la place du média. Il ne s’en est jamais caché, ses relations avec la presse sont pour le moins houleuses (bien qu’il ait été chroniqueur pour le journal La Croix jurassienne dans les années 1970). Il assume d’ailleurs cette volonté de contournement des médias traditionnels dans la première édition de la revue de la semaine : “Ma méthode est de penser que le premier média sur lequel je peux m’appuyer c’est moi-même”. Là où les interviews sont guidées par les journalistes, les questions choisies, les réponses parfois coupées et montées, et répondent à des contraintes de temps, Youtube permet aux politiques d’occuper le terrain selon leurs propres prérogatives : du choix des sujets à la manière de les traiter en passant par l’éclairage, le champ est libre pour dire ce que l’on veut, comme on veut. En bref, le message est maîtrisé.
L’ensemble de la chaîne de Jean-Luc Mélenchon pourrait d’ailleurs s’apparenter à une chaîne de télévision, avec ses différentes émissions. Dans la playlist “Esprit de campagne”, qui compte sept vidéos publiées lors de la campagne pour les élections présidentielles, Jean-Luc Mélenchon apparaît derrière un pupitre, entouré de son équipe de campagne réunie autour de petites tables (mais tous debout), tel un chef d’orchestre. Plusieurs caméras permettent de montrer tantôt le candidat face caméra, en adresse au spectateur, tantôt les membres de son équipe, tantôt une vue globale du plateau, comme depuis les coulisses. C’est là un moyen habile de contourner la contrainte du temps de parole et d’antenne des candidats à l’élection présidentielle (temps CSA).*
Engager la communauté
Dans ses vidéos, Jean-Luc Mélenchon s’adresse directement au spectateur : “Tout cela paraît banal, je vous demande les gens de comprendre que ça ne l’est pas du tout”. Les descriptions des vidéos usent également de cette adresse au public, en demandant des retours, des critiques, conseils et autres pistes d’amélioration :
“Nous vous proposons de découvrir le pilote de la nouvelle émission de Jean-Luc Mélenchon et de sa campagne. Nous avons besoin de vos commentaires et avis sur cette émission afin de savoir si vous souhaitez que nous la diffusions et, si oui, comment l’améliorer. Dites-nous dans les commentaires et avec le hashtag #EDC0 si vous aimez ou si vous n’aimez pas ; dites-nous ce que vous voudriez voir de plus ou de moins dans cette émission.
Nous avons voulu vous faire connaître la campagne de l’intérieur et vous faire découvrir les visages de celles et ceux qui la font au quotidien. Sachez que nous voulons à l’avenir que cette émission puisse être interactive et se nourrisse de vos questions… ce qui était malheureusement impossible pour cet épisode pilote. Bon visionnage ! On attend vos avis !”
Jean-Luc Mélenchon a bien compris le potentiel viral de Youtube : 6 utilisateurs sur 10 qui visionnent une vidéo sur Youtube en parlent avec leurs amis ou la partagent sur les réseaux sociaux. L’effet amplificateur des réseaux sociaux prend ici tout son intérêt : des extraits de la Revue de la semaine sont par exemples postés sur Facebook, avec un lien vers l’émission dont l’extrait est tiré. Ces vidéos sont vues des dizaines de milliers de fois, commentées, partagées.
En appliquant des recettes ayant fait leurs preuves, en s’appropriant les codes d’une plateforme plébiscitée par les internautes, et notamment par les jeunes, Jean-Luc Mélenchon a su toucher deux cibles déterminantes dans le résultat d’une élection : les abstentionnistes et les indécis.
Sources
Comment Jean-Luc Mélenchon est devenu le premier YouTubeur politique de France
Marketing politique : les bonnes pratiques vidéo de Jean-Luc Mélenchon
Qui sont les utilisateurs de YouTube en France ?
Quand les politiques jouent les youtubeurs
YouTube, média incontournable de la com’ politique