Les plateformes de partage de produits de biens et de services se multiplient à vitesse grand V. Le chiffre d’affaire généré par l’économie collaborative devrait atteindre 570 milliards d’euros d’ici 2025 d’après une étude de PWC. Dans un de nos articles précédents, nous avons évoqué les facteurs environnementaux, économiques et technologiques, liés à l’émergence de cette économie de partage . Puis, nous avons tenté d’établir un profil socio-démographique des usagers de l’économie de partage. Maintenant, il nous importe de comprendre les facteurs individuels qui nous rendent de plus en plus des adeptes du partage; comprendre les motivations qui poussent les individus à aller vers cette nouvelle forme d’économie, afin de trouver ce qui les intéresse, choisir les bons contenus et les bons arguments pour influencer leurs décisions collaboratives. Dans cette optique, nous proposons donc, de partir de la pyramide des besoins de Maslow largement utilisée en psychologie du consommateur, afin d’étudier comment se manifestent ces besoins fondamentaux chez les adeptes de l’économie de partage.
Comprendre les besoins humains & motivations
Selon Maslow, les motivations d’un individu proviennent de l’insatisfaction de certains de ses besoins. Cette insatisfaction engendre des tensions qui poussent les individus à agir en vue de les satisfaire. Afin d’influencer les consommateurs, il convient d’identifier les motivations qui découlent de leurs besoins fondamentaux.
Maslow a identifié et hiérarchisé cinq besoins psychologiques motivant l’ensemble de notre comportement . Ils sont présentés sous forme de pyramide. En effet, l’idée centrale est que l’individu ne passera au besoin de niveau supérieur, qu’à condition d’avoir assouvi le besoin qui le précède . Ainsi, un individu doit avoir assouvi ses besoins physiologiques puis sécuritaires, avant de chercher à satisfaire son besoin d’appartenance, d’estime de soi et enfin, le besoin d’accomplissement de soi.
Nos besoins physiologiques & nos besoins sécuritaires ont-ils évolué ?
A la base de la pyramide de Maslow, se situent les premiers types de besoins, les besoins physiologiques liés à la survie de l’espèce humaine comme manger, boire, dormir, se reproduire… Ensuite, viennent les besoins sécuritaires qui relèvent de la sphère matérielle et financière (logement, revenu), mais aussi la sphère psychologique et physique (vie exempte de stress et violence), médicale (santé) …
On retrouve ce souci de satisfaire ce besoin de sécurité avec les plateformes de messageries écologiques, sécurisées et confidentielles. Newmanity, messagerie confidentielle dotée d’un hébergement « vert » (serveurs éco-responsables) rassemble des membres engagés solidaires et écologiques.
La société actuelle pousse les gens à réfléchir à leurs besoins. Au lieu d’acheter et de posséder définitivement des choses, les consommateurs préfèrent y avoir accès temporairement. On choisit par exemple de passer la nuit sur un canapé chez l’habitant, plutôt que de dormir dans un logement saisonnier. Ou encore, d’emprunter ou de louer une perceuse, plutôt que de l’acheter pour ne s’en servir qu’occasionnellement.
Nous sommes passés du système de valeurs dominant du XXe siècle, basé sur l’idée que « le bonheur, c’est d’avoir », à celui du XXIe qui consiste à penser qu’il est possible de vivre mieux avec moins, de consommer de manière plus réfléchie et sobre, voire plus solidaire. Ce nouveau modèle de consommation résulte donc d’une volonté de se libérer de la posture matérialiste devenue synonyme de boulimie d’objets, vouée à l’insatisfaction permanente.
L’usage tend à prévaloir sur la propriété. Le bonheur ne viendrait plus de la possession mais plutôt des expériences procurées par ces échanges de biens et services. Les besoins « primaires » (physiologiques et sécuritaires) ont évolué de la consommation et la possession vers l’usage et l’expérience procurée par l’accès éphémère des différents objets de partage.
Le bonheur n’est plus d’avoir, de posséder des choses mais plutôt de vivre des expériences.
En tant que marketeur, cette information est cruciale car elle amène à réfléchir sur les expériences proposées à travers les marques et produits. Comment s’intègrent-elles dans les modes de vies des individus ? Quelles sont les histoires expérientielles que l’on peut apporter à travers notre marketing ?
Un besoin d’appartenance renforcé
Le besoin d’appartenance à un groupe correspond à la sphère relationnelle, qu’elle soit familiale, amicale ou amoureuse. Ce sont des besoins sociaux qui relèvent des interactions avec les autres. Or, plus les interactions en face à face seront réduites, plus les individus tenteront de d’assouvir ce besoin d’appartenance, d’amour, par d’autres interactions virtuelles, grâce aux différents supports numériques (plateformes, messagerie, réseaux sociaux…).
« La société collaborative serait également un moyen de renouveler le lien social. Dans un monde décrit souvent comme sans utopie, sans idéologie, voire parfois sans horizon, le collaboratif viendrait ainsi renouveler les imaginaires utopiques. » Sandra Hoibia, 2018, CRÉDOC ‘Le collaboratif, nouvel horizon utopique?’
Dans une étude publiée dans le Journal of Consumer Behavior, les chercheurs Pia A. Albinsson et B. Yasanthi Perera ont interviewé des personnes qui participent à des échanges, des cadeaux et des événements de marchés alternatifs. Ils ont constaté que la motivation première de la participation était le renforcement de la communauté, et que cela était souvent lié à une protestation contre «l’hyperconsommation» et une société trop «commercialisée».
La consommation, et de surcroît la consommation responsable, joue donc un rôle déterminant dans la structuration de l’identité des individus et dans l’affirmation de leurs liens sociaux. Le sentiment d’appartenance, impacte sur la consommation responsable et éthique. Asma Chaieb Achoura (2012) a montré que la relation entre le sentiment d’appartenance et l’achat du produit partage.
Or, le digital constitue un canal formidable pour développer et renforcer ce sentiment d’appartenance à une communauté. Il apparaît donc capital, de créer une stratégie marketing avec de grandes composantes de renforcement de la communauté et s'assurer que nous créons des opportunités pour que les clients interagissent les uns avec les autres. De même, les points de contact 'Touchpoints" de l'écosystème digital (application mobile, site web, réseaux sociaux) doivent veiller à être plus humains et susciter des interactions nombreuses et riches en expériences émotionnelles et sensorielles.
Sur Mytroc, plateforme de troc en ligne qui l’échange de biens et de services, cet aspect communautaire est omniprésent. Les fondatrices, Floriane Addad et Tiphaine Bezard mettent en avant plusieurs communautés de troc sur le site avec la possibilité de créer sa propre communauté. Une carte permet de localiser les adhérents et de repérer les trocs qui se produisent à proximité de chez soi. Les biens et services circulent grâce à une monnaie d’échange virtuelle qui est la noisette (parité euro). Ce système économique alternatif est donc à forte valeur ajoutée sociale (puisqu’il permet de créer du lien) mais aussi écologique (il offre une seconde vie aux objets échangés).
Avec des milliers d’utilisateurs, associations, collectivités et même entreprises, MyTroc utilise cet aspect communautaire pour dynamiser l’économie social, solidaire et circulaire.
Besoin d’estime >> de considération
Une fois ce besoin d’appartenance satisfait, l’individu cherche à gagner l’estime de cette communauté dont il fait désormais partie. Facebook, réseau social qui permet de partager des contenus multimédias, exploite ce besoin pour rendre accroc ses utilisateurs. Lorsque l’on veut consulter le contenu des utilisateurs, on lui fait une demande pour qu’il devienne notre ami. Si l’on apprécie un contenu, on peut le liker et exprimer son opinion, goûts, ou émotions. Plus nous avons de likes, de commentaires, plus cela active notre production de dopamine dans le cerveau. Ce neurotransmetteur responsable, entre autre, du plaisir qui active notre système hédonique (récompense/renforcement). La dopamine joue un rôle central sur notre motivation et nos comportements. Les likes, les partages fonctionnent comme des récompenses, qui gonflent notre valorisation sociale et comblent notre besoin d’estime.
Le contenu sur les marques, produits, services est désormais majoritairement créé par les internautes et non plus les entreprises. Les consommateurs font de plus confiance aux avis des autres consommateurs et à leurs pairs. Nous savons maintenant que notre public n’acceptera pas la simple complaisance en matière de service client. Les gens veulent se sentir vraiment entendus et veulent que les entreprises prennent leurs opinions au sérieux. Ils veulent sentir qu’ils ont un certain contrôle sur leurs relations avec les entreprises et les organisations.
Dans l’économie du partage, le consommateur est aussi un producteur. Plus fondamentalement, même si vous ne jouez pas le rôle de producteur en soi, vous participez à un système d’une manière beaucoup plus active. Par exemple, sur certaines platesformes bancaires de crowdsourcing, vous pouvez vous inscrire pour essayer d’obtenir un prêt, mais vous allez également évaluer la solvabilité d’autres personnes. Et c’est un tout nouveau rôle pour le consommateur. Les gens commencent également à prendre le contrôle par d’autres moyens en prenant eux-mêmes leurs actifs et leurs valeurs. C’est un esprit d’entreprise ancré dans le désir d’avoir plus de contrôle sur votre vie personnelle et financière. Grâce à Internet, ils contrôlent plus que jamais quoi, où et comment ils achètent et utilisent ces produits et services et ils aspirent à être respectés.
Comment se manifeste-t-il au niveau de la stratégie ?
Il importe donc à tous marketeurs, de publier des contenus digitaux qui augment l’estime qu’ils ont d’eux même, les encouragent à effectuer des actions en accord avec leurs valeurs et les aident a gagner de l’estime auprès de leurs pairs.
De surcroît, les entreprises qu’elles soient collaboratives ou non, dans le web 4.0 doivent être capables de dire : « Vos idées sont importantes et ce que vous nous apportez en tant que consommateur fait partie de tous nos succès.»
Lorsque les entreprises traditionnelles importent des idées dans l’économie du partage qui créent une communauté, elles acquièrent une forme de différenciation qu’il est très difficile de créer sans tirer parti de ces idées.
Des communautés contributrices
Toute forme d’économie collaborative tire parti du partage, de l’utilisation du lien pour commercialiser un service ou un bien. Autrement dit, elle «commercialise l’assistance et la complicité entre consommateurs » ou utilise des consom’acteurs pour commercialiser des biens et services.
Une personne avec des valeurs collectives (universalisme, bienveillance, tradition, conformité) sont fortement attirées par la consommation éthique qui est tournée vers l’orientation aux autres ou l’altruisme. Les plateformes de l’économie de partage doivent donc agir dans cette continuité d’actions philanthropiques et axer leur communication sur la participation active des collaborateurs et la reconnaissance sociale de cette contribution.
Les engagements réussissent mieux lorsqu’ils sont pris de façon active, publique et même écrite. Qu’il s’agissent d’e-réputation, d’évaluation par des pairs sur les plateformes collaboratives, ou encore de déclarations sur les réseaux sociaux, l’écosystème digital constitue une opportunité formidable, le socle de l’engagement. Mais même si cette récompense sociale publique (avis publiés et visibles) augmente l’estime de soi, cela suffit-il a provoquer une adhésion durable ?
« Les sociologues ont établi que nous acceptons intérieurement la responsabilité d’un comportement lorsque nous pensons que nous l’avons choisi, libres de toute forte pression extérieure. Or une grosse récompense est précisément une forte pression extérieure. Elle peut nous amener à agir dans un certain sens, mais elle ne nous fera pas accepter intérieurement la responsabilité de l’acte. [..] Les engagements produisant un changement intérieur ont un avantage supplémentaire : ils se développent d’eux-mêmes. Le professionnel de la persuasion n’a pas besoin d’entreprendre un effort long et coûteux pour consolider ce qu’il a construit ; le besoin de cohérence s’en charge. Lorsque notre ami sera persuadé qu’il est un citoyen soucieux de l’intérêt général, il commencera automatiquement à voir les choses sous un jour nouveau. Il se convaincra que son attitude est la bonne. « (Cialdini, 1984)
Besoin d’accomplissement de soi
Dans le monde de la psychologie, cela s’appelle l’auto-actualisation, ou l’accomplissement de soi. Il correspond au besoin de se réaliser, d’exploiter et de mettre en valeur son potentiel . Il donne à l’individu l’opportunité de se réaliser pleinement, de trouver le sens de son existence. Ce besoin est d’autant plus fort dans l’économie collaborative, car elle apporte le sentiment de participer à une « nouvelle économie plus humaine, plus respectueuse, et dans le cas de l’ESS plus juste et solidaire. Certaines études se sont focalisées sur les motivations internes qui poussent les consommateurs à adopter une consommation responsable et solidaire : le sentiment d’être efficace à travers son comportement et l’envie d’être en accord avec ses valeurs (François-Lecompte, 2010).
Dans le contexte actuel de crise sanitaire, ce besoin est d’autant pus prononcé et utilisé dans les communications sur les réseaux sociaux comme ce post d’Arianna Huffington Influenceur Founder and CEO at Thrive Global. The Coronavirus Is Forcing Us To Ask: What Is Truly Essential To Our Life ?
“I wish it need not have happened in my time,” says Frodo in The Lord of the Rings. “So do I,” says Gandalf, “and so do all who live to see such times. But that is not for them to decide. All we have to decide is what to do with the time that is given us.”
Many of us today feel very much like Frodo. Why now? Why me? But even though no one would have wished for the disruption, uncertainty and, for many, veryreal suffering of these times, we can still decide“what to do with the time that is given us.”
Qu’en conclure ?
En somme, les besoins d’appartenance et d’accomplissement de soi sont d’autant plus prononcés chez les adeptes de ces économies collaboratives, surtout celles basées sur des styles de vie collaboratifs (Ulule, couchsurfing, AMAP, La ruche …) et dans une moindre mesure, pour celles qui relèvent des marchés de redistribution (Le Bon Coin, Vestaire Collective, Kiditroc, GuestToGuest…). Les logiques affectives et collectives devraient être prédominantes chez les adeptes des styles de vie collaboratifs. Tandis que les logiques individuelles et rationnelles plus importantes pour les utilisateurs de systèmes qui facilitent le partage ou la location d’un produit (partage de voiture, vélo…) ou d’un service.
On pourrait résumer les besoins des partageurs par cette proposition : « Nous voulons des expériences sur les possessions, construire et appartenir à des communautés, et nous voulons avoir le contrôle et la capacité de croître et de réaliser notre potentiel ».