Rappelons-le, les entreprises ont un rôle sociétal à jouer auprès de leurs cibles et la crise sanitaire nous l’a bien fait comprendre. Les consommateurs sont plus que jamais en quête de sens et par conséquent à l’affût de marques responsables, en phase avec leurs valeurs, qu’ils n’hésitent pas à clamer haut et fort sur les réseaux sociaux. Le consommateur est (hyper)sensible au respect des principes, des promesses qui lui sont faites, voire tatillon et critique. Les marques n’ont donc plus le droit à l’erreur, du moins quand il s’agit d’être en mesure de prouver les pratiques et les valeurs responsables qu’elles mettent en avant auprès de leurs prospects et clients : leur discours doit être en phase avec leurs actions.
D’ailleurs, on assiste à l’émergence de nouvelles plateformes de notation des marques, des sortes de Yuka de la RSE, à l’instar de Moralscore : cette application, dont la mission est de « mettre les marques à poil », serait en mesure d’éclairer le public sur l’éthique des marques auxquelles il s’intéresse et lui permettre ainsi de consommer de manière responsable.
Au vu de cette tendance qui n’a rien d’éphémère, pour une marque, ignorer ces considérations peut se révéler fatal car le besoin de s’identifier à une marque, de s’y reconnaître fait de plus en plus partie intégrante du processus d’achat. Aujourd’hui, on attend d’une marque qu’elle aille au-delà de son champ d’activité en vue de se positionner sur les sujets de société, d’être la réponse à nos préoccupations desquelles découlent les valeurs qui façonnent nos modes de consommation.
Alors pour rassurer les consommateurs, mieux encore, pour se les mettre dans la poche, comment les marques devraient-elles utiliser la communication et le marketing digital pour faire vivre, nourrir leur stratégie RSE et gagner en visibilité ? Autrement dit, comment les marques peuvent-elles faire de la RSE une arme stratégique et opérationnelle, et non une arme d’autodestruction ?
Les considérations des français par rapport à la communication RSE
Que pensent les Français ? Si on s’en tient au Baromètre du Goodvertising établi par The Good Company / Viavoice, 86% d’entre eux « estiment que la communication RSE des marques est une “bonne chose” ». En revanche, leurs attentes sont déçues quant à la mise en place de cette communication. En effet, « 55 % des Français estiment que la “communication for good” ne répond pas à la réalité de ce que font les entreprises » et que cela se traduit par « un décalage entre les paroles et les actes ».
« Luc Wise pointe une forme de lassitude par rapport à des communications RSE “factices et bonimenteuses”. Tout ce qu’on appelle communément le ‘greenwashing’, le ‘socialwashing’, le ‘wokewashing’, le ‘femwashing’…” »
Audit de la stratégie de communication et marketing de quelques marques, en bref
Il s’agit là de vérifier la cohérence entre le discours des marques adressé à leurs cibles et la concrétisation de ce discours en actions vérifiables. Sur une échelle de notation ultra-simplifiée, on distingue les bons des mauvais élèves.
Les bons élèves
- Innocent, une marque engagée et qui le fait savoir
Innocent clame son engagement RSE depuis le début de sa création en 1999, ce qui lui assure une certaine légitimité auprès de son public. En 2018, l’entreprise française obtient le label B-Corp. Cette accréditation est attribuée aux entreprises répondant à des critères environnementaux, sociétaux et faisant preuve de transparence envers leur public.
Ce qu’Innocent vend ? Pas seulement des produits mais des valeurs, une histoire, des engagements.
La marque a beaucoup communiqué sur l’électricité verte qu’elle utilise, l’éthique de ses partenaires professionnels et ses dons à des associations. Ses engagements transparaissent sur ses packagings mais également sur ses différents points de contact avec le consommateur, qui est par ailleurs invité à être acteur de la réalisation et du maintien de ces engagements :
- On peut actionner un interrupteur sur le site internet d’Innocent qui permet de réduire l’empreinte carbone de celui-ci de 86% grâce à la suppression des images, des animations et un léger floutage des couleurs.
- Depuis ses plateformes sociales, Innocent invite sa communauté dans ses locaux afin de lui donner la parole et lui faire ainsi savoir que ses préoccupations environnementales sont non seulement entendues mais appliquées : les participants peuvent poser toutes leurs questions sur les packagings et les actions de la marque en faveur de la préservation de l’environnement.
- Innocent mène des campagnes de marketing associatif participatif pour venir en aide aux plus démunis à travers l’association Petits frères des Pauvres (PFP). Lors de cette opération, appelée Petits Bonnets, tous les membres de la communauté qui savent tricoter ou crocheter sont sollicités, toujours via les réseaux sociaux, pour fabriquer des bonnets miniatures, envoyés ensuite à l’enseigne qui les place sur les bouteilles mises en rayon dans les différents points de vente. La marque reverse 20 centimes par bouteille achetée à l’association PFP.
- La Marque En Moins, la marque qui se démarque par son minimalisme poussé à l’extrême
Cette jeune entreprise, créée en 2019, utilise le strict minimum à tous les niveaux pour véhiculer ses valeurs : packagings réduits à des boîtes en carton les plus compactes possibles pour les produits solides et à des bouteilles réutilisables et rechargeables pour les produits liquides, charte graphique plus qu’épurée (y compris sur les réseaux sociaux), produits composés de peu d’ingrédients qui plus sont biodégradables. Elle fait également preuve de transparence sur la répartition des sommes dépensées par le consommateur et sur son impact environnemental ; elle permet au public de suivre l’état d’avancement de son projet de construction responsable et engagée.
Sur les plateformes sociales, La Marque En Moins communique de manière à informer et sensibiliser son public sur les enjeux qui concernent la planète et sur ses actions concrètes.
- The Body Shop, la marque qui se tient au front et appelle à la résistance
Chaîne de magasins britannique fondée en 1976, The Body shop est un fabricant de produits cosmétiques qui se veut responsable. En 2020 par exemple, l’agence européenne des produits chimiques a fait part de son souhait de rétablir les tests sur les animaux, ce à quoi des marques comme Dove et The Body shop se sont associées afin de lutter contre cette pratique et maintenir les textes de lois associés. Affichages et pétitions en ligne se sont invités dans la bataille afin de dénoncer cette pratique et appeler les citoyens à se mobiliser.
Marque engagée dès le début de sa création, elle permet à quiconque d’admirer ses combats en faisant de son site une grande vitrine.
Lutter contre les violences domestiques, les tests sur les animaux, le trafic sur les jeunes enfants, autant de sujets dont la marque s’est emparée pour en faire un combat au quotidien auquel elle associe systématiquement les consommateurs.
- Nike, une marque iconique et une communication à double tranchant
Nike, dont le nom est inspiré de la déesse grecque de la victoire (Niké), est devenu une marque iconique américaine. Fondée en 1971, elle a été à l’origine de plusieurs scandales notamment l’un des plus des connus sur le travail des enfants au Pakistan dans les années 90. Néanmoins, la marque travaille à redorer son image auprès de son public et cela se voit dans sa stratégie de communication. Elle s’engage et communique sur ses actions en faveur de ceux dont la voix peine à se faire entendre. Rien que dans sa bio twitter, elle utilise deux hashtags en soutien à des populations discriminées : #BlackLivesMatter et #StopAsianHate (le premier a été créé en 2013 suite aux violences policières contre la communauté afro américaines aux Etats-Unis et le second fait écho aux violences subies par la communauté asiatique notamment depuis le début de la crise sanitaire).
Après le meurtre du noir américain George Floyd, elle est allée jusqu’à détourner son propre slogan “Just do it” en “Don’t do it” dans des publications postées sur les réseaux sociaux.
Nike s’associe à de grands athlètes, comme lorsqu’elle s’est associée à Colin Kaepernick, afin de faire passer des messages d’inclusivité et défendre les causes qui tiennent à cœur à son public.
Les mauvais élèves : entre RSE et greenwashing, il n’y a qu’un pas !
- Yves Rocher, la marque pas aussi verte qu’elle n’y paraît
Célèbre marque de cosmétiques française fondée en 1959, la marque utilise des codes couleurs d’une marque écologique et sensible à l’environnement. Elle propose d’ailleurs à ses clients de participer avec elle à la reforestation de la planète. Or, serait ici face à une belle démonstration de greenwashing :
- les produits, à vu d’œil, semblent naturels et écologiques ; toutefois, la composition d’un bon nombre d’entre eux est mauvaise car ils contiennent des composants allergènes, à ne pas utiliser chez la femme enceinte ou les bébés ou chez les enfants et les adolescents, ou encore à toutes les tranches d’âge confondues ;
- Yves Rocher a fait le choix de la surconsommation et de la fidélisation au détriment de l’empreinte carbone : la marque incite ses clients à consommer encore et toujours plus en envoyant régulièrement des prospectus qui permettent à ses clients de bénéficier de réductions alléchantes et de profiter d’articles offerts.
- Easy Jet, une publicité mal accueillie : rien de surprenant
Là où certaines marques communiquent sur leurs valeurs et leurs actions, d’autres mettent en avant des engagements factices, non fondés. C’est le cas de la marque Easyjet qui avait été accusée par ses détracteurs de tenter de “verdir” son image en faisant usage du greenwashing, et ce, suite à la publication d’une affiche où elle évoquait son projet de compensation de ses émissions carbone. Cependant, le transport aérien est émetteur d’une quantité de dioxyde de carbone telle qu’il est difficile de contrebalancer ou de supprimer son impact négatif sur la planète par des actions annexes.
Conclusion
Quand une marque veut intégrer sa politique RSE à ses stratégies de communication et marketing digital, l’authenticité et la transparence sont de rigueur : le consommateur n’est pas dupe.
Les marques qui parviennent le mieux à être RSE friendly et à le rester, comme Innocent ou The Body Shop, sont celles dont l’ADN contient la réponse à des problématiques liées à la RSE. À l’inverse, les marques qui sont parvenues à s’imposer sur le marché sans ces valeurs peinent à faire machine arrière ou à mener une conduite du changement pour séduire une clientèle désormais plus consciente et plus avisée sur les enjeux environnementaux, sociaux, économiques et éthiques : en effet, cela nécessite de bousculer des pratiques déjà bien établies.
Les marques qui ne sont pas profondément RSE friendly ou dont les actions ne les mènent pas dans ce sens devraient s’abstenir de ces coups de com’ que le public assimile à de la poudre jetée aux yeux : il est préférable dans ce cas de se montrer humble et discret en matière de communication et de marketing afin de ne pas s’attirer les foudres des consommateurs, d’être accusé de greenwashing, voire de connaître un (very) bad buzz causé par un bashing incontrôlable.