Popularisé par les plateformes de reventes et pris d’assaut par les marques traditionnelles de textile, le marché de la seconde-main a définitivement le vent en poupe. Avantageux tant sur le plan économique, qu’écologique, c’est donc sans surprise que les consommateurs se tournent désormais vers ce mode de consommation. Mais en y regardant de plus près, il semblerait que le marché de l’occasion ne soit finalement pas si bénéfique à de nombreux égards. Alors, acheter de la seconde-main : une fausse bonne idée ?
Le marché de l’occasion s’est radicalement transformé au cours des dernières années. Autrefois l’apanage des friperies poussiéreuses et autres brocantes du dimanche, la seconde-main s’est petit à petit démocratisée, notamment grâce à Internet. Les raisons qui poussent à se tourner vers l’achat d’occasion sont multiples et propres à chaque consommateur : Pour l’un, il va s’agir de faire de bonnes affaires, pour l’autre, de dénicher des vêtements uniques et qualitatifs…
Rappelons tout de même que le marché de l’occasion s’inscrit avant tout dans une démarche d’économie circulaire, en opposition à l’économie linéaire, majoritairement pratiquée dans notre société. Le ministère de la transition écologique défini ce modèle économique comme :
“L’économie circulaire consiste à produire des biens et des services de manière durable en limitant la consommation et le gaspillage des ressources et la production des déchets. Il s’agit de passer d’une société du tout jetable à un modèle économique plus circulaire.«
Lorsque l’on sait que l’achat d’un smartphone reconditionné permet de réduire les émissions de plus de 77% par rapport à l’achat d’un produit neuf, ou que l’achat d’un vêtement de seconde-main permet d’éviter l’émission de 56kg de CO2, il est facile d’être convaincu par les bénéfices environnementaux de ce modèle économique.
Mais comme souvent, la popularisation d’un phénomène mène à de nombreuses dérives. Ces dernières années, l’explosion de la mode vintage et de la seconde-main a donc radicalement transformé le paysage du secteur de l’habillement : les friperies et dépôts-ventes poussent comme des champignons dans les rues, les plateformes de reventes en lignes se multiplient et on ne compte plus le nombre de marques textile ayant saisi l’opportunité d’augmenter leur part de marché. Alors quelles sont donc les limites de la seconde-main et quelles en sont les raisons ?
On assiste depuis peu à une véritable mutation du marché de l’habillement, grâce et/ou à cause de la seconde main. En effet, comme en atteste une étude de Cross-Border Commerce Europe (CBCE) , “d’ici 2030, le marché de la revente de vêtement d’occasion en ligne sera deux fois plus important que celui de la fast-fashion”. En théorie, cela semble être une bonne nouvelle ! Seulement voilà… Malgré la montée en puissance de la seconde-main, la production du neuf, elle n’est pas en baisse et le constat est simple : la plupart des vêtements proposés à la vente sur les plateformes sont issus pour la majorité de la fast-fashion.
La popularisation de ce phénomène a donc transformé le comportement des consommateurs, mais pas nécessairement en mieux. En effet, d’après le cabinet Boston Consulting Group, près de 70% des utilisateurs affirment revendre de seconde main dans le seul but d’augmenter leur pouvoir d’achat sur le marché de la première main. Plutôt contradictoire avec l’idée première derrière l’économie circulaire. Naomie Poignant, de l’institut national de l’économie circulaire explique : “Ça déculpabilise le consommateur. Il a l’impression qu’il fait une bonne action écologique. Mais en fait il va acheter plus de neuf ou acheter en se disant qu’il pourra revendre sur Vinted. On est donc complètement en contradiction avec cet esprit de dé-consommation ou de consommation responsable.“
Les plateformes comme Vinted sont en partie responsables de ce changement de comportement, car elles ont su proposer une offre attractive à leurs utilisateurs. En effet, “la création d’annonces, la réalisation de ventes et le retrait de vos gains sur votre compte bancaire ne vous coûtent rien » explique Natacha Blanchard, directrice RP chez Vinted. Autre point avantageux pour les utilisateurs : le partenariat réalisé en 2016 avec Mondial Relay. Cette politique des petits prix, et la possibilité d’effectuer des retours encouragent davantage à l’achat compulsif que raisonné. Alors comme le slogan de la marque, martelé plusieurs fois à la TV le dit si bien : “si tu ne le portes pas, vend le !”
Le phénomène est d’autant plus accentué par les marques traditionnelles de textiles et le lancement de leur propre plateforme. Sous couvert d’arguments écologiques et de RSE, les enseignes alimentent le “monstre”, et on assiste à un véritable phénomène de greenwashing, à l’image de Zalando. Le leader de la mode sur internet s’est lancé il y a quelques mois dans la seconde main, en s’appuyant sur les codes d’une communauté positive. Mais cela fait déjà quelque temps que la marque met en avant ses démarches éco-responsable sur son site et dans sa communication :
L’exemple de Zalando est particulièrement parlant en termes de greenwashing. Son offre de seconde-main se veut avoir un impact positif sur la planète, hors
“la recette de son succès est initialement basée sur le retour gratuit des articles”, ce qui représente un véritable fléau écologique. De plus, la marketplace prône des articles de seconde main, “comme neuf” et les conditions de reprise sont très excluantes. Cela contribue à alimenter une vision sur-consumériste du textile, antinomique avec le concept d’écologie circulaire.
Au-delà de l’impact écologique que peuvent avoir les dérives du secteur de la seconde main, la popularisation de ce phénomène pose également problème d’un point de vue social. Emmaüs, longtemps pionnier dans le domaine de l’occasion, met en garde les consommateurs : la seconde-main peut être nocive pour la solidarité. En effet, c’est l’économie de don qui permet à l’association d’accueillir, former, loger, faire travailler, les milliers de compagnons et de salariés en parcours d’insertion chez Emmaüs. Comme l’explique le sociologue Patrice Duchemin, “ Alors qu’avant, les gens donnaient leurs vieux vêtements à des associations, il est aujourd’hui possible de les mettre en vente, et cela alimente un business du vintage. Cette dynamique est encore plus génératrice de consommation que l’industrie de la première main, car l’occasion offre un côté « bonne affaire », ce qui motive encore plus les achats.”
Si la seconde main s’inscrit à l’origine dans une démarche d’économie circulaire, dont les motivations sont plus que louables. Sa popularisation entraîne inévitablement des dérives. Réduire l’impact écologique de l’industrie textile ne repose donc pas uniquement sur une transformation de l’offre, mais bien sur une transformation de notre rapport et de notre consommation des vêtements.