
Le manga n’est plus juste une niche pour les passionnés, c’est un raz-de-marée culturel et commercial. Avec près de 40 millions d’exemplaires vendus en France en 2023, le secteur a su se faire une place en tant que pilier de l’industrie de l’édition et, plus largement, de la culture populaire. Sa consommation a largement dépassé les frontières du Japon et touche aujourd’hui des publics variés, de la génération Z, qui découvre les nouveautés via TikTok et les plateformes de streaming, aux lecteurs plus âgés animés par une puissante nostalgie.
Si le gaming et le textile streetwear restent des terrains de collaboration de prédilection, un mouvement de fond, plus subtil mais tout aussi stratégique, émerge : des marques issues de secteurs éloignés (cosmétique, alimentaire, automobile, finance) explorent désormais l’univers du manga pour toucher de nouveaux publics et développer des produits inédits. Ces alliances inattendues témoignent d’un potentiel marketing encore largement sous-exploité, redéfinissant les règles du jeu du co-branding.
Les collaborations évidentes… et leurs limites
Depuis les années 90, les licences phares comme Dragon Ball, Naruto ou One Piece ont abreuvé un marché florissant de produits dérivés. Les jeux vidéo, les figurines et les vêtements streetwear ont longtemps constitué la sainte trinité de ce marché. Des marques comme Uniqlo ont grandement popularisé le modèle des collections capsules en édition limitée. Le succès fut immédiat, générant un engouement phénoménal et des files d’attente dans le monde entier, de Tokyo à Paris, à chaque nouvelle collection.
Cette omniprésence pose néanmoins une question stratégique : comment se démarquer dans un marché saturé de collaborations attendues ? Lorsqu’une nouvelle collection de t-shirts ou un nouveau jeu mobile sortent chaque mois, l’impact s’amenuise et la surprise s’estompe. Face à la multiplication de produits dérivés dans le gaming ou la mode, les marques les plus visionnaires doivent rivaliser d’ingéniosité pour surprendre et engager d’autres communautés au-delà du cercle des fans les plus investis.

Quand les marques éloignées du manga s’en emparent
C’est ici que l’innovation marketing prend tout son sens. En sortant des sentiers battus, des marques de secteurs très variés transforment l’essai avec brio.
Cosmétique et beauté
Le secteur de la beauté l’a bien compris. L’exemple de la collaboration entre Sailor Moon et la marque étasunienne ColourPop est très parlant : une collection de palettes et rouges à lèvres inspirés des héroïnes iconiques qui a provoqué une rupture de stock en quelques heures. Au Japon, Maybelline s’est associé à Pokémon pour une collection ciblant un public féminin jeune, en quête de produits fun et collectors.
Ici, le manga devient un puissant outil de séduction marketing. Il permet à des marques de capter la jeunesse féminine et d’associer leurs produits à des émotions positives, à des souvenirs et à des valeurs d’émancipation incarnées par les personnages.
Alimentaire
En France cette fois-ci, Quick a collaboré avec One Piece pour des menus collectors et des campagnes social media. Dans la même veine, Oasis a lancé des canettes personnalisées Naruto en édition limitée, générant un buzz considérable sur les réseaux sociaux.
Ces collaborations transforment un acte d’achat banal en une expérience culturelle engageante. Elles s’appuient sur la viralité des réseaux sociaux et la mécanique de la collection pour stimuler les ventes et renforcer la préférence de marque.
Automobile
Pour un achat aussi impliquant qu’une voiture, la stratégie est différente. Il s’agit de s’associer à un événement culturel majeur (la sortie d’un blockbuster) pour créer une actualité et toucher une cible plus jeune. En proposant une édition ultra-limitée, Mercedes ne vise pas le volume mais l’image : créer le désir, générer de la conversation sur les réseaux sociaux et positionner la marque et la Mercedes-Benz EQB comme cools et dans l’air du temps.
L’association avec le manga permet ici de rajeunir l’image d’un secteur souvent jugé trop « sérieux » ou inaccessible, en créant un pont affectif avec une nouvelle génération de consommateurs.
Pourquoi ça marche : les leviers marketing activés
Le succès de ces alliances repose sur des mécanismes marketing puissants et bien identifiés.
Les licences historiques comme Dragon Ball ou Sailor Moon ont un avantage considérable : elles permettent aux marques de parler à la fois aux trentenaires nostalgiques qui ont grandi avec elles ainsi qu’aux adolescents qui les découvrent aujourd’hui. C’est un double impact générationnel rare et précieux.
Plus globalement, les communautés de fans sont le moteur de ces campagnes. Sur TikTok, le hashtag #Anime dépasse les 150 millions de publications (source : TikTok Data). Ces fans, hyper-engagés, ne sont pas des consommateurs passifs ; ils deviennent des amplificateurs naturels et authentiques des campagnes, partageant leurs achats et créant du contenu à une échelle qu’aucune campagne payante ne pourrait atteindre.
Il ne faut pas non plus négliger la mécanique du « drop », au cœur de nombreuses stratégies. En proposant des produits en édition très limitée, les marques créent une désirabilité et un sentiment d’urgence. Les sneakers Adidas x Dragon Ball Z, par exemple, se sont écoulées en quelques heures, illustrant la valeur immense du statut « collector ».
Le manga a réussi à transcender les frontières sociales et géographiques. Il est à la fois un produit de consommation de masse et un objet culturel. Cette dualité permet à n’importe quelle marque, de la grande distribution au luxe, de créer un pont culturel avec son audience.
Perspectives stratégiques pour les marques hors secteur culturel
Pour les marques qui hésitent encore, les opportunités sont aussi importantes que les risques à maîtriser.
Ces collaborations permettent de capter une audience jeune et difficile à atteindre via les canaux publicitaires traditionnels. Elles ouvrent aussi la voie à des campagnes « phygitales » innovantes (pop-up stores, expériences en réalité augmentée) qui mêlent le meilleur des mondes physique et digital.
Le principal danger néanmoins est celui du « too much » : une collaboration perçue comme purement opportuniste, déconnectée des valeurs de la marque ou de l’univers du manga, sera immédiatement sanctionnée par les fans. Il faut ainsi éviter le risque d’une banalisation du manga, qui le réduirait à un simple gimmick marketing sans âme.
Le manga, un levier marketing universel
Le manga n’est plus réservé au gaming ou au textile. Il est devenu un langage universel que des marques de secteurs très éloignés exploitent avec un succès grandissant, de la cosmétique à l’automobile. En activant des leviers puissants comme la nostalgie, la force communautaire et l’exclusivité, ces collaborations permettent de transformer des produits parfois banals en objets culturels désirables et chargés d’émotion.
À l’avenir, le manga continuera de jouer ce rôle de pont culturel entre les industries, en s’appuyant notamment sur des expériences phygitales et de nouvelles zones géographiques. Plus qu’un simple prétexte à produit dérivé, il s’est affirmé comme une stratégie de marque à part entière.
Sources
https://www.franceinfo.fr/culture/bd/mangas/mangas-un-succes-retentissant-en-france_6412402.html
http://manga-news.com/index.php/actus/2025/06/05/UNIQLO-x-Studio-Ghibli-:-une-nouvelle-collection-et-un-week-end-de-projections-au-Grand-Rex
https://zula.sg/sailor-moon-colourpop/
https://www.globalcosmeticsnews.com/maybelline-new-york-releases-pokemon-pikachu-collection-exclusive-to-japan/
https://www.crunchyroll.com/fr/news/latest/2025/8/26/one-piece-retour-quick-menus-enfants?srsltid=AfmBOopbDF-_T9xOc7AvLtlvxa_8cWEWJadhlsHjbkAdziIDJNpbsH_9
https://jai-un-pote-dans-la.com/oasis-naruto-s-allient-et-font-gagner-des-cadeaux/
https://fr.techtribune.net/anime/one-piece-annonce-un-partenariat-special-avec-mercedes/371919/
https://www.radiofrance.fr/mouv/dragon-ball-z-x-adidas-l-integralite-des-modeles-et-les-dates-de-sorties-revelees-3015107