Déjà lors du premier confinement, les salles de spectacles et de cinéma étaient longtemps restées fermées, au grand désespoir de tous les acteurs du secteur du spectacle vivant. Après une reprise d’espoir et de relance pendant la période estivale, le couperet est de nouveau tombé à l’automne dernier. Depuis, tout est complètement à l’arrêt, laissant les salles de spectacle et de cinéma vides et dépourvues de toute âme. Dès lors, la réouverture de ces lieux a constamment été reporté, sans qu’il n’y ait finalement de date précise évoquée.
Les professionnels du secteur culturel se sentent lésés, inquiets et la colère ne fait que grandir. Certains d’entre eux tentent même d’interpeller le gouvernement à travers les réseaux sociaux via des vidéos, des tweets, des lettres ouvertes et même des mobilisations concrètes comme l’occupation de théâtres et d’opéras notamment.
Mais alors, comment faire « survivre » ce secteur culturel ? Comment proposer un spectacle ou des films au public sans pour autant mettre en péril la situation sanitaire ? Les salles de spectacles sont-elles vouées à disparaître totalement ?
Bref état des lieux de la situation actuelle
Comme nous avions pu le voir, brièvement, dans notre premier article « La désertification des salles obscures : les salles de cinéma et de théâtre en péril ? », l’idée d’organiser des spectacles et des concerts tests est de plus en plus évoqué comme étant la solution pour sortir de la crise, le secteur du spectacle et du cinéma. La Ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, parle de cette possible solution depuis des mois mais sans réellement donner de date fixe. C’est pourquoi le 12 avril 2021, Prodiss, le principal syndicat du spectacle vivant, alerte sur l’urgence d’autoriser cette expérimentation, coordonnée par l’AP-HP et l’INSERM. En effet, les contours de ces spectacles tests sont déjà fixés. Un à Marseille, dans la salle du Dôme et un autre à Paris, à l’AccorHotels Arena. Des groupes tels que IAM et Indochine se sont même portés volontaires pour assurer les concerts.
L’objectif est de réunir 5000 personnes à Paris et 1000 à Marseille, debout, avec un masque et un test PCR négatif. En parallèle, un groupe de personnes, restées chez elles, feraient également partie de l’expérimentation. Ce qui permettrait donc à l’AP-HP et à l’INSERM, de faire une étude comparative sur le taux d’incidence du virus, entre les deux groupes. Bien qu’il y ait une potentielle réouverture des lieux de spectacle à la mi-mai, les contraintes sanitaires seraient encore strictes : jauge du public, spectacle strictement assis, distanciation, etc. Donc oui, encore aujourd’hui, cette expérimentation a malgré tout du sens et est pertinente, selon Malika Seguineau, directrice du Prodiss.
Cette expérimentation permettrait également de pouvoir anticiper, d’ores et déjà, le redémarrage du secteur pour le mois de septembre 2021. Car en effet, pour la deuxième année consécutive, la liste des annulations de Festivals d’été s’allonge de jour en jour : Art Rock, Main Square, Beauregard, Lollapalooza, etc. Néanmoins, d’autres entrent en résistance et sont optimistes, comme le Festival d’Avignon. Olivier Py, directeur du Festival avait annoncé le 24 mars 2021, via un live Facebook, la programmation de la 75ème édition.
Alors comment travailler sur une réelle stratégie de reprise si le secteur du spectacle et du cinéma sont prisonniers, se trouvant entre le marteau et l’enclume ? Peut-être faut-il décloisonner la nature des sites et explorer des nouveaux lieux tels que des friches industrielles, des hangars, des tiers-lieu, etc.
Le spectacle, « quoi qu’il en coûte »…
Le terme marketing est souvent associé à la vente de biens et de services, néanmoins les pratiques et le outils utilisés peuvent être pertinents dans une stratégie de développement d’un lieu de spectacle. C’est en partie pour cette raison que les professionnels du spectacle ont souvent tendance à trouver beaucoup plus de freins que d’avantages à mettre en place en plan marketing. Par crainte de dénaturer la création, de détruire la relation avec son public ? Mais alors, comment transposer les techniques marketing afin qu’elles favorisent la notoriété d’un lieu de diffusion de films ou de spectacles ? Certains professionnels du secteur travaillent sur ce sujet depuis maintenant quelques années. En 2013, Anne Le Gall, ancienne responsable de la communication du Théâtre du Rond-Point et directrice de l’Avant Seine/Théâtre Colombes, a cofondé le Laboratoire Théâtres et Médiations Numériques (TMNlab). Cette association à but non lucratif, a pour objectif de regrouper une communauté de professionnels qui travaillent et s’interrogent sur l’évolution des pratiques liées au numérique dans le champs de la communication, de la médiation, des relations avec les publics et plus largement sur la transformation des institutions.
“Lorsque l’on parle de marketing, il y a cette idée que le marketing va venir détruire quelque chose de la relation humaine, de l’artistique, plutôt que de le voir comme une boîte à outils ou un état d’esprit centré sur l’utilisateur. Pourtant la question de l’intégration des publics et la fine connaissance des œuvres est primordiale pour la construction des actions”
Anne Le Gall
Le point de rencontre entre le marketing et le spectacle vivant pourrait se situer au moment de la diffusion, au moment de la rencontre avec le public et de ses attentes. Il faut capter son attention et mettre en avant son projet. Une des premières étapes à suivre dans la mise en place d’une stratégie marketing est de bien connaître son public, de s’intéresser à lui, à ses motivations et qu’est-ce qui, par exemple, pourrait le freiner pour aller voir un spectacle. Il faut en quelque sorte étudier dans sa globalité son expérience en tant que spectateur en passant par les conditions d’accueil, les tarifs, le ressenti, ses zones géographiques, etc.
Un duo comique français qui a bien réussi cette stratégie en investissant un nouveau lieu de spectacle, est Les Bodin’s. Depuis 2005, le duo d’humoristes joue la pièce de théâtre « Les Bodin’s Grandeur Nature », à guichet fermé devant 20000 spectateurs chaque année. La pièce se joue en plein air dans une ferme, sur la commune de Descartes, en Indre-et-Loire. Preuve en est que le public est prêt à sortir des sentiers battus et vivre une expérience théâtrale hors du commun, en dehors d’une salle traditionnelle. La proximité avec le public est ainsi créé et les artistes amènent le spectateur dans leur univers.
Avec la crise sanitaire qui dure, les artistes se sentent de plus en plus éloignés de leur public avec des salles toujours closent. Il est évident qu’il y a une nécessité de se réinventer, d’aller chercher son public, peu importe où qu’il soit, afin d’exister et de continuer à transmettre ce bien culturel qui est le spectacle vivant. C’est ainsi par exemple qu’on a pu voir émerger des randos-spectacle, des concerts dans les bois, dans les supermarchés, dans les rues, des happenings, etc.
En allant ainsi au contact, on peut atteindre de nouveaux publics, qui n’auraient pas idée de se déplacer en salle pour aller voir un spectacle, ou alors la zone géographique ne le permet tout simplement pas, ou il y a aussi le cas du public qui est contraint par le fait de ne pas pouvoir bouger d’une institution telle qu’un EHPAD. C’est ainsi que Sébastien Soules, chanteur d’opéra lyrique, propose son concept d’aller chanter en maisons de retraite et élargir son offre à un plus large public en allant directement chez les gens. Car en effet, s’il sauve les meubles en étant devenu, temporairement livreur à vélo, il est avant tout un artiste.
Aussi l’été dernier, le drive-in, le cinéma en plein air, a fait son retour en force. Plusieurs villes en France avaient fait le choix de projeter des films en plein air, aidées parfois même par les exploitants de salles de cinéma ou des salles d’Art et d’Essai.
A Bordeaux, le 19 décembre 2020, un happening était orchestré par 3 compagnies théâtrales, entre les rayons d’Auchan, H&M et la FNAC. Ainsi en faisant leurs courses, les bordelais ont pu voir « Tartufferie », des saynètes adaptées du « Tartuffe » de Molière. Le texte avait été également adapté afin de dénoncer les mesures prises et leur incohérence. L’objectif pour ces 3 compagnies était de reprendre la parole dans l’espace commercial transformé en théâtre et jouer. Faire preuve également de résistance à l’heure où les lieux de culturels demeurent clos alors que les temples de la consommation restent ouverts. Pour marquer davantage les esprits et toucher une plus large audience , le Collectif a filmé et relayé cette séquence sur les réseaux sociaux
La dimension marketing dans le secteur culturel du spectacle vivant peut permettre, entres autres, de lancer des projets, promouvoir un nouveau lieu de spectacle, lancer des artistes locaux émergent, nouer des partenariats, attirer et fidéliser le public, faire la promotion d’actions, etc. Et tout cela sans perdre de vue la dimension artistique et la dimension créative.
Et si le numérique a été d’un grand soutien pour le spectacle vivant lors du premier confinement, il ne faut cependant pas oublier et mettre totalement de côté la dimension réelle qui est de partager, dans un même lieu, une expérience de spectacle à l’unisson. Après les nombreuses restrictions de sorties, le public ne se contente plus d’une simple diffusion en ligne, il veut sortir de son huis-clos et partager un moment de culture, de loisir et lutter contre l’isolement culturel et social. Même si cela a lieu hors des murs d’une salle traditionnelle, ce qui est essentiel, c’est la rencontre avec le public et que l’expérience soit à la hauteur de ses attentes.