Au-delà d’un simple placement de produit de type cinématographique, les marques ont construit de nouvelles manières de s’intégrer dans les univers interactifs des jeux vidéo, ou ont poussé encore plus loin les possibilités existantes. Ce sont notamment les industries de la mode, de la tech, de l’événementiel ou les milieux politiques qui semblent y trouver les meilleures opportunités pour le moment.
Pourquoi ne s’habillerait-on pas aussi virtuellement ?
Par exemple, dans l’univers de Second Life, la marque American Apparel s’est rendue maître d’une île du jeu et y a implanté un magasin virtuel. Le jeu est, à la manière de la saga les Sims, un simulateur de vie. Ainsi, le magasin ne dénature en rien la cohérence du jeu. La marque, de son côté, propose dans ce magasin virtuel des répliques de ses vêtements physiques au prix d’un dollar pièce. Mais le véritable objectif n’est pas pécuniaire, il est davantage marketing : étendre la présence de la marque sur des territoires inconnus, sur des territoires de joueurs, de joueurs qui n’auraient peut-être pas connu la marque en raison de leur désertion de canaux de publicité plus traditionnels en faveur du jeu vidéo.
Ce concept s’est depuis largement démocratisé, sous le nom de Skins (qu’on peut traduire par “tenues”), notamment dans les MMORPG et plus dernièrement avec Fortnite.
Au sein de ce dernier, chaque skin est achetable avec des V-Bucks, la monnaie virtuelle du jeu, avec différents paliers de prix – des skins atypiques aux skins légendaires -. Une fois encore, le jeu se présente comme un free-to-play avec microtransactions, et le système fonctionne. Du tonnerre. En 2020, le jeu générait 120 millions de dollars par mois. Ce qui est réellement impressionnant, c’est que ces revenus proviennent uniquement de la vente de cosmétiques, ici les skins. Ce sont donc des achats parfaitement facultatifs, qui n’apportent rien d’autre qu’un aspect esthétique, une personnalisation soignée des avatars.
Et comme pour l’univers de Second Life, les marques ont compris toutes les opportunités offertes par ces terrains de jeu, notamment pour cibler les jeunes, ces populations moins friandes des médias traditionnels que leurs aînés. Premier exemple sur Fortnite, dès 2018, Samsung proposait outre un accès anticipé au jeu qui venait de débarquer sur mobile, un skin “Galaxy” offert en lien avec la sortie de leur nouveau smartphone, le Galaxy Note 9.
Lors de la Paris Games Week 2018, à l’occasion du lancement de son Galaxy S10, la marque a fait jouer 100 joueurs en simultané, équipés de mobiles flambants neufs. Un excellent moyen de prouver à un public gamer que sa nouvelle monture était parfaitement capable de supporter le jeu sans accrocs : un critère primordial à l’heure de s’équiper de matériel gaming.
Stars du gaming et stars tout court : on s’y bouscule
À cette occasion était également invité l’influenceur gaming “Gotaga” (3,75 millions d’abonnés sur YouTube), où lui aussi participait à cette partie, équipé de son Galaxy S10. Les retombées de ce partenariat tripartite sont prodigieuses : Samsung prouve la robustesse de sa nouvelle monture, Fortnite lance sa version mobile en grande pompe et Gotaga possède du contenu exclusif et d’excellente qualité (une avant-première d’une version d’un de ses jeux favoris) à diffuser à son audience.
D’autres, comme le chanteur Travis Scott, qu’on peut en tant que marketeur, facilement assimiler à une marque, a proposé un divertissement : ce dernier a en effet organisé une tournée de concerts virtuels dans l’univers du jeu. En 5 concerts, le chanteur a réuni près de 28 millions de joueurs (ou de spectateurs ?). Cet événement a représenté un véritable vent de fraîcheur sur sa carrière, qui sans être en déclin, n’était plus aussi glorieuse qu’à ses débuts. Selon certaines sources, il aurait engrangé près de 20 millions de dollars à cette occasion. Au-delà des chiffres, c’est surtout la prestation du rappeur qui impressionne. Libéré de contraintes matérielles et physiques, le show est exceptionnel : un interprète géant débarquant d’un aéronef flashy, une ambiance apocalyptique ou futuriste, des transpositions, des dédoublements… Même avec des moyens colossaux, aucun concert physique n’aurait pu rivaliser avec cette prestation. De quoi donner des idées à une industrie en manque cruel d’innovation.
C’est à la mode le streaming, non ?
Relativement neuf en comparaison à d’autres industries, le streaming est lié depuis longtemps au jeu vidéo. En effet, certains influenceurs stars de la thématique (Joueur du grenier fait des vidéos depuis 2009, Squeezie depuis 2011) étaient présents sur YouTube avant même l’explosion des géants du secteur (2017 pour Netflix en France par exemple).
Si certains youtubeurs pouvaient vivre de leur passion via les revenus générés par les publicités sur YouTube, ils ne représentaient pas la masse. Aujourd’hui les moyens de rémunérations des “streamers” (des joueurs qui jouent à des jeux vidéo tout en diffusant leur partie en direct sur une plateforme) se sont étoffés : outre les traditionnelles publicités, la mode est désormais aux partenariats avec les plateformes et aux communications commerciales incluses directement dans la vidéo/dans le stream.
Ainsi, dans le premier cas, les streamers (qui tout comme Travis Scott, peuvent être considérés comme des marques) vont directement être rémunérés par la plateforme, en cas de respect de certains critères. Par exemple, sur le mastodonte du genre, Twitch (1 million d’utilisateurs uniques par jour en France en 2021) , les critères sont : la diffusion de 25 heures au cours des 30 derniers jours, une diffusion sur 12 jours différents au cours des 30 derniers jours, ainsi qu’un objectif moyen de 75 spectateurs. Du côté des “viewers”, ils peuvent souscrire un abonnement allant de 4.99 à 24.99$ dollars par mois aux chaînes de leurs choix. En échange, ils obtiennent divers bonus et services allant d’émoticônes personnalisées aux canaux de discussions exclusifs en passant par la suppression de la publicité sur les streams. La véritable valeur ajoutée serait donc l’appartenance à une communauté via divers bonus exclusifs à cette communauté abonnée à un streamer en particulier.
Dans le cas des communications commerciales incluses, les streamers vont se transformer en véritables ambassadeurs de la marque. En échange d’argent ou de services, ils vont offrir un encart publicitaire de quelques secondes à quelques minutes à une marque. Sur Youtube notamment, on en retrouve quasi-systématiquement à chaque vidéo gaming. Outre le fait de ne pas être bloquées par les Ad-Blockers (car si ce sont bien des publicités, elles font partie intégrante de la vidéo), elles permettent aux marques de toucher un public extrêmement qualifié. En effet, chaque streamer ayant sa propre audience avec ses propres caractéristiques socio-démographiques, habitudes de jeu, type de jeux consommés, le ciblage devient extrêmement performant.
Et pourquoi pas de la politique ?
Si la politique n’est pas à proprement parler une industrie, les partis politiques peuvent eux en revanche s’apparenter depuis quelques années à des marques, notamment dans leur communication. Ainsi, intéressons-nous quelques instants aux derniers coups marketing qui ont secoué cet écosystème à la recherche d’outils leur permettant de toucher des populations absentes des médias traditionnels : cela tombe bien, c’est ce dont on parle ici.
Ainsi, c’est à partir de 2019 que ce monde-ci comprend réellement les opportunités de ces nouveaux médias et notamment de Twitch, encore lui. C’est lors de cette année que le gouvernement LREM organise un grand “débathon” sur la plateforme, avec pas moins d’onze heures de stream et 10 ministres participants. Face au succès de cette initiative, ils sont nombreux à suivre le mouvement. Notamment Samuel Etienne, journaliste de France Info qui lance sa propre chaîne “La matinée est tienne” en décembre 2020. Après seulement 4 mois, elle comptait 400 000 abonnés et 4 millions de vues. Ses invités, personnalités politiques importantes telles que François Hollande ou Jean Castex répondaient entre autres, en direct aux questions posées par les viewers dans le chat.
Mais que pensent les joueurs de cette irruption politique intrusive sur leur plateforme gaming préférée ? Il semble que la communauté se divise sur le sujet. Si certains y voient une “innovation bienvenue” leur permettant de s’aiguiser et de s’impliquer sur certains sujets politiques dont ils ignoraient tout, notamment par la proximité offerte par le chat et les questions qu’ils peuvent poser, d’autres y voient davantage un coup de communication et une “instrumentalisation politique” et apprécient peu de voir la politique investir “leur” terrain de jeu, “leur” média spécifique.
Pour conclure cet article, une citation extraite d’une interview de Jean Massiet, streamer politique star du sujet sur Twitch à propos de l’arrivée de Samuel Etienne sur la plateforme :
“En faisant ça, il comble un vide et répond à un besoin. Ce besoin de dialogue entre des mondes qui ne se comprennent pas. On ne peut pas dire que Jean Castex soit la personne la plus en phase avec la jeunesse de ce pays. On ne peut pas dire que les jeunes soient une population très en phase avec le personnel politique dans son ensemble.«
Finalement, c’est peut-être ça, le principal atout du monde jeu vidéo : permettre à des populations qui ne se connaissent et ne se comprennent pas d’apprendre à se découvrir via une interface et des moyens novateurs, entre ludique et proximité, loin de l’impersonnalité et de la froideur de la publicité traditionnelle.
Damaye Alexis