Dix millions de dollars. C’est la somme dépensée par Twitter en 2016 pour acquérir les droits de diffusion des matches de la National Football League aux Etats-Unis. Un an plus tard, la marketplace leader Amazon lui arrache les droits en proposant cinq fois la somme que le réseau social a investi, soit 50.000.000$. Dans le même temps, Facebook a tenté d’obtenir en 2018 les droits de diffusion de la Premier League de Cricket en Inde pour 600 millions de dollars.
Parallèlement, alors que les montants des droits de diffusion de certaines ligues de football comme la Premier League connaissent des envolées de plus de 200% entre 2010 et 2016, l’audience des matches du dimanche ont affiché une baisse de 39% par rapport à 2012.
A l’heure où les compétitions sportives perdent de l’audience et où les droits de diffusion atteignent des montants record, il paraît légitime de se questionner sur la pertinence des investissements des GAFA.
Nous verrons au cours de cet article quel intérêt stratégique représente les grandes compétitions sportives pour les GAFA et dans quelle mesure ils pourraient devenir des acteurs clé du secteur.
Quel est l’intérêt des diffuseurs ?
Pour la Ligue 1 du championnat français de football, Mediapro a déboursé environ 1,1 milliards d’euros pour obtenir les droits de diffusion de 2020 à 2024. Ce montant en augmentation par rapport à la saison précédente est représentatif des tendances de hausse des montants dans le monde du sport.
Le sport est un événement populaire qui mobilise les fans et touche des populations diverses. Les matches de sport sont pour la plupart vus en direct, et sont peu visionnés en replay. Les ligues sportives profitent de leur popularité pour vendre leurs compétitions aux diffuseurs. A l’image des écuries de F1 qui vendent le moindre espace sur les voitures de course, les ayant-droits des différents tournois vendent des espaces publicitaires aux plus offrants.
Les moments de pause durant la partie sont des moments clés utilisés pour diffuser des spots publicitaires. Par exemple un spot de trente secondes se vendait approximativement à quatre millions d’euros en 2018 pour un passage lors de la célèbre compétition de football états-unienne Superbowl.
Pour compléter l’expérience des téléspectateurs, les chaînes comme Canal+ proposent des émissions où des experts commentent le match et donnent des pronostics. Cela permet la rétention du consommateur sur le canal de diffusion et contribue donc à une augmentation de l’audience.
Cependant, ces dernières années, les ligues sportives ont fragmenté leur offre. De plus en plus d’acteurs se partagent les droits des matches sans pour autant supporter le coût total de diffusion pour toute une saison.
Ce morcellement a eu pour conséquence une multiplication de l’offre et une augmentation des prix pour les fans. Ainsi pour regarder tous les matches de football en 2020, un fan Français devait payer plusieurs abonnements pour un montant total de 79,90€ contre 30,90€ en 2014.
Et les GAFA dans tout ça ?
Si l’intérêt publicitaire semble évident de prime abord, il est difficile de vérifier le ROI de l’acquisition de ces droits de licence. Pourtant, quelques résultats semblent déjà montrer l’enjeu que cela représente pour les GAFA.
La fragmentation de l’offre de football a permis à Amazon d’acquérir les droits pour deux journées de matches de Premier League. Elle diffuse ainsi 20 matches par saison sur Prime Video depuis 2019. Grâce à cela, la plateforme de streaming a augmenté de 35% son nombre d’inscription par rapport à l’année précédente en Grande-Bretagne.
« L’intérêt pour Amazon, c’est que les gens s’inscrivent à Prime. Et pour ça, le football leur sert d’appât » expliquait Pierre Maes. On peut en effet comprendre que le football constitue un point d’entrée sur la plateforme et contribue donc à une stratégie d’acquisition client.
Qu’est-ce que l’acquisition client ?
Selon Criteo, l’acquisition client englobe toutes les méthodes, à la fois online et offline, permettant de trouver une nouvelle clientèle et d’inciter à l’achat. En acquérant et diffusant un ensemble de matches dont l’audience est élevée, Amazon incite donc les fans de football à s’inscrire sur sa plateforme.
On peut également anticiper l’insertion d’un bouton d’achat qui servirait à acheter des produits liés au sport diffusé. Beaucoup de possibilités pour la marketplace en somme !
Quid de Google et Facebook ?
Les deux géants réseaux sociaux sont habitués à la diffusion de contenu gratuit sur leur plateforme. Face aux changements d’habitude des consommateurs et à la multiplication des écrans, elles disposent déjà d’un atout qui leur permettrait de s’adapter plus rapidement que les diffuseurs traditionnels.
Il est en effet possible de consulter un live Facebook ou YouTube depuis son smartphone, sa tablette ou sur sa TV connectée. La connaissance de leurs utilisateurs leur permettrait de proposer des publicités ultraciblées à des moments clés dans le visionnage d’une compétition.
Par ailleurs, des sports émergents ont déjà fait des réseaux sociaux leur plateforme privilégiée de diffusion. C’est le cas du crossfit ou encore de l’e-sport. C’est ainsi que les Crossfit Games avaient été diffusés sur Facebook et la chaîne CBS.
Les revenus publicitaires justifient-ils pour autant ces investissements massifs ?
Si le rachat des droits de diffusion de la compétition de football brésilienne par Google pour l’Europe et l’Asie jusqu’en 2022, permet d’imaginer un modèle économique basé sur la publicité ; l’acquisition des droits pour les compétitions de surf par Facebook laisse la porte ouverte aux interrogations.
Même si la précédente édition avait rassemblé plus de 14 millions de spectateurs, il est difficile de se prononcer sur la rentabilité de cet investissement en se basant sur un revenu publicitaire.
Selon Brief Eco « le modèle de Facebook ne s’appuie pas seulement sur l’augmentation du nombre d’utilisateurs, mais sur la récolte de données les concernant. Son objectif est donc que ces utilisateurs soient actifs sur la plateforme, ce qui lui permet aussi d’accroître la visibilité des publicités des annonceurs. »
Facebook chercherait donc à augmenter son nombre d’utilisateurs et la monétisation de leur temps passé à visionner des spots publicitaires, ce qui aurait également pour effet d’augmenter sa valeur boursière.
En effet, il faut rappeler que le réseau social cherche à retenir ses utilisateurs le plus longtemps possible sur sa plateforme en leur proposant du contenu intéressant. Cela contribuerait donc à leur stratégie de rétention de l’utilisateur.
Les atouts des GAFA
Pour entrer sur le marché les GAFA possèdent des atouts de taille comme une plateforme prête et facile d’accès, une notoriété qui donne confiance aux utilisateurs et une bonne connaissance de ces derniers afin de leur proposer des publicités ciblées.
Nous avons vu au cours de cet article comment l’achat de ces licences pouvaient correspondre à leurs objectifs stratégiques respectifs. Cependant, certains éléments constituent un frein à leur établissement de manière durable.
En effet les droits de diffusion très élevés constituent une barrière économique importante à l’investissement. Le ROI attendu des revenus publicitaires n’est pas vérifié et les plateformes disposent d’autres stratégies moins onéreuses pour atteindre leurs objectifs.
Par ailleurs le manque d’expertise pour les commentaires sportifs pourrait s’avérer être un handicap face aux diffuseurs traditionnels.
Malgré ces obstacles, on ne peut s’empêcher de penser que les GAFA feront leur entrée car ils ont prouvé plus d’une fois par le passé qu’ils pouvaient bouleverser les codes d’un marché. La question est donc : à quand ?
NB : Nous n’avons pas mentionné l’entreprise Apple qui fait pourtant partie des GAFA car elle n’a montré aucun signe d’intérêt ou même de gros investissement pour les compétitions sportives ces dernières années.
Djibril DIALLO
SOURCES