Craignant d’abord d’y perdre une partie de leur prestige, les maisons de luxe ont finalement investi avec succès les réseaux sociaux, un canal de communication privilégié pour parler aux consommateurs de demain.
Sur la page Facebook de Louis Vuitton, Elvire fait savoir sa colère : « Sans doute je ne représente rien en achetant une paire à 600 €, comparée aux starlettes et autres vedettes ! » Elle aurait reçu deux chaussures gauches et s’impatiente face au délai nécessaire pour obtenir un échange. Des considérations triviales dont la prestigieuse maison se serait probablement bien passée. La crainte de perdre ainsi un peu de leur stature explique les réticences dont ont fait preuve beaucoup d’acteurs du luxe pour investir les réseaux sociaux, royaume de l’éphémère et d’une communication horizontale. Comment y conserver son prestige quand clients et non-clients peuvent vous y interpeller ? Comment faire valoir ses valeurs et son histoire, quand ces plateformes semblent surtout jouer sur le buzz ?
La donne a changé. Difficile en effet de se passer de tels canaux de communication alors que les chiffres démontrent qu’ils permettent d’atteindre une audience qualifiée. Chez Twitter par exemple, on estime que 51% des utilisateurs en France sont intéressés par la mode et 66% par la beauté. Selon le Boston Consulting Group, les médias sociaux sont devenus le premier levier d’influence auprès des consommateurs de luxe. Surtout, ils sont plébiscités par les millenials, qui pourraient représenter plus de la moitié du marché du luxe d’ici 2024. L’essor d’Instagram, réseau de partage d’images et de vidéos, peut aussi expliquer le changement de braquet des acteurs du luxe. « Ils y ont trouvé tout de suite un terrain de jeu naturel, avec une communication relativement sous contrôle, totalement visuelle, et une plateforme qui présentait ontologiquement un rapport au beau. Elle est devenue l’alpha et l’oméga du luxe », explique Eric Briones, fondateur de la Paris School of Luxury et auteur de Luxe et Digital.
Si Instagram a été prioritairement investi par les marques de luxe, ces dernières se sont en fait emparées de l’ensemble des plateformes, en faisant une utilisation variée. « Pour lancer son parfum pour homme Y, Yves Saint-Laurent a utilisé des vidéos cliquables permettant de lier, sur un même écran, la puissance de son spot vidéo à un formulaire pour en obtenir des échantillons », illustre Julien Alart, responsable des marques luxe chez Twitter. Les grandes maisons s’attachent aussi à mettre en scène leurs coulisses, que ce soit lors des défilés ou en racontant, comme Vuitton, la fabrication d’une malle pour transporter le tableau La Laitière de Vermeer. Des photos léchées de bobines de fil et de petites mains au travail apparaissent ainsi sur les comptes de certaines maisons, une manière de souligner le travail de leurs artisans.
Les 5 marques de luxe les plus suivies sur Instagram : Chanel : 34,4 millions d’abonnés. Gucci : 33,6 millions d’abonnés. Louis Vuitton : 31,5 millions d’abonnés. Dior : 25 millions d’abonnés. Prada : 19,2 millions d’abonnés.
Mais au-delà d’un travail d’image, les réseaux sociaux offrent aussi aux acteurs du luxe un véritable miroir du marché. « De plus en plus de marques utilisent Twitter comme une sorte de focus group géant à leur disposition, qui leur permet de savoir les tendances et les produits qui plaisent », constate Julien Alart. Et parfois de s’en inspirer. En témoigne par exemple la collaboration entre Fendi et Hey Reilly, un artiste visuel qui s’est rendu célèbre sur Instagram en détournant les logos des griffes les plus prestigieuses. Les marques, notamment de mode et de beauté, sont aussi nombreuses à collaborer avec des influenceurs. « On est passé d’égéries mannequins très fortes à des égéries plus next door, que l’on invite par exemple sur les défilés pour qu’elles en partagent des images sur les réseaux », souligne Cyril Attias de l’Agence des influenceurs.
Mais les collaborations peuvent aussi prendre d’autres formes. Le groupe hôtelier Dorchester Collection vient par exemple d’éditer des guides de Paris, Rome, Londres, Milan et Los Angeles, élaborés par 5 influenceuses et répertoriant les lieux les plus « instagrammables » de ces villes. Dans un rapport publié en octobre dernier, les experts d’UBS établissaient ainsi une corrélation entre la performance des marques de luxe sur les réseaux sociaux et leurs ventes, pointant l’intérêt, pour les investisseurs du secteur, de surveiller ce nouveau type d’indicateurs.