Par définition, le luxe s’apparente à tout ce qui relève de l’ostentatoire et dépasse les achats liés au simple besoin. Adressés à une clientèle très spécifique, les produits de luxe n’échappent pourtant pas à la nécessité de la communication, qu’elle soit ciblée ou destinée aux masses. Tour d’horizon des procédés mobilisés par les marques pour s’adapter au social media et à ses codes parfois très éloignés de la galaxie du luxe.
PROBLÉMATIQUES LIÉES AU SUJET
Communiquer lorsqu’on est une marque de luxe, c’est se frotter à plusieurs paradoxes. Les réseaux sociaux ont des caractéristiques qui parfois s’opposent à celles du luxe : l’innovation et la tradition, l’horizontalité et le prestige, la transparence et le secret de fabrication, l’éphémère et l’ancestral, la masse et l’élite.
PREMIER PARADOXE : S’ADRESSER À UNE CIBLE LARGE QUAND SA CLIENTÈLE EST RÉDUITE
La clientèle des produits de luxe est très restreinte, car très aisée. Seule une petite part de la population achète réellement des produits de luxe de manière régulière. Dès lors, la communication de masse effectuée par les marques de luxe reflète plusieurs objectifs dont la vente régulière ne fait pas nécessairement partie.
Occasionnellement, le consommateur moyen peut se laisser tenter par l’achat d’un produit de luxe : il est important que la marque s’adresse à cette aspiration élitiste de chacun via les réseaux sociaux. Mais une agence social media n’y verra pas l’unique raison pour le luxe de s’y positionner.
Les marques de luxe ne se servent pas des réseaux sociaux comme outil conversationnel mais plutôt comme laboratoire d’écoute et de veille. Contrairement aux autres marques, les internautes ne restent que des cibles et non des interlocuteurs ni même des membres d’une communauté affinitaire. C’est la façon qu’a le secteur du luxe de conserver son aura tout en se montrant à l’écoute.
Les marques de luxe sont souvent attaquées sur leur éthique par les associations, et cela peut se ressentir sur les réseaux sociaux. Grâce à ces écoutes, elles peuvent rétablir une communication RSE plus convaincante qui concerne à la fois les acheteurs et les simples followers.
Le but premier en communicant sur les réseaux n’est donc pas de vendre auprès d’une cible ou de toucher une grande masse de clients potentiels, mais au contraire de travailler son image et sa réputation auprès de consommateurs exigeants qui souhaitent écouter un annonceur prestigieux qui sait aussi se montrer respectueux.
DEUXIÈME PARADOXE : TROUVER L’ÉQUILIBRE ENTRE PARTAGE ET INACCESSIBILITÉ
Le second paradoxe réside dans l’équilibre compliqué qu’il s’agit de maintenir entre la transparence sur les réseaux sociaux et la part de secret et d’inaccessible qui définit le luxe. L’ouverture restreinte de la marque s’oppose à l’essence des réseaux.
La meilleure option des marques de luxe reste donc celle de communiquer à travers le rêve, le voyage, l’onirique. L’inaccessible. Et l’agence brand content qu’elles solliciteront sera chargée de retranscrire cet univers.
Il est cependant nécessaire de se dévoiler suffisamment pour que les internautes aperçoivent les coulisses de la marque et touchent à l’inédit, que ce soient au travers des soirées ou des défilés. Le quotidien d’une marque de luxe ne sera jamais celui de l’internaute, il peut donc être montré tout en perpétuant le rêve associé.
Burberry, ayant fait le pari d’être la marque de luxe la plus digitalisée, a réussi à associer dévoilement et rêve en créant un compte Snapchat très actifu. Une de leurs opérations consistait à offrir à leur communauté un défilé en avant première.
Néanmoins, les marques de luxe n’ont que peu besoin de recruter des fans en faisant des opérations de ce type tant ces univers attirent la curiosité. Lorsque Chanel s’est mis sur Instagram, longuement après d’autres marques (Valentino, Versace, Dior,…), le compte vide a attiré simplement par le nom officiel.
TROISIÈME PARADOXE : ÊTRE MODERNE TOUT EN CONSERVANT SES TRADITIONS
Investir ces outils digitaux, c’est s’inscrire dans une forme de modernité qui n’est pas toujours compatible avec l’image du luxe, associé au savoir-faire ancestral et à la tradition.
Comme évoqué, Burberry a été la première marque a vouloir entièrement se digitaliser : Snapchat, Twitter ou WeChat… L’annonceur a su capitaliser sur les réseaux sociaux et continuer de croître en parti grâce à eux.
Cette modernité est un parti pris que peu de marques sont prêtes à mettre en exécution, de peur de trop changer leur image. Il est vrai que le luxe aime reposer sur son fort héritage, sa longévité et son conservatisme . De plus, les réseaux sociaux sont synonymes d’éphémère ce qui entre en contradiction avec leurs valeurs.
Concilier les deux reviendrait alors à utiliser ses pages sociales pour raconter l’histoire de la marque et accentuer son aura. Les grandes marques mettent alors en avant leurs savoirs-faire uniques tout en gardant une part de mystère.
Secrets de fabrication, coulisses, artisans, sont partiellement dévoilés dans le storytelling.
Hermès utilise par exemple son Pinterest pour montrer les secrets de fabrication, Van Cleef & Arpels’ présente une web série youtube de 9 court métrages présentant ses petites mains « Les mains d’or ». Burberry sur Instagram dévoile les croquis de futures créations.
Le lien est ainsi maintenu avec les communautés qui peuvent endosser le rôle d’ambassadeurs même s’ils ne sont pas acheteurs, sans sacrifier l’idée de tradition et de valeur inaccessible.
LE PARI DE BALMAIN : LA COMMUNICATION DISSOCIÉE DES PRODUITS
Avec des millions d’images spontanées postées tous les mois, le luxe apparaît comme un des secteurs les plus lucratifs sur Instagram. Le luxe et la mode en général, pouvant être considérés comme des arts, trouvent parfaitement leur place sur le réseau visuel, qui remplace peu à peu les magazines de mode.
C’est sur cette stratégie inédite qu’Olivier Rousteing directeur artistique de la maison Balmain a considérablement rajeuni la communication et l’image de l’annonceur.
Des icônes improbables empreintes de pop culture ont donc investi les collections Balmain, comme Rihanna, Kim Kardashian, Kanye West, Robbie Williams… Pour Rousteing, le secret de la longévité est de se renouveler dans la communication : il est important que les jeunes regardent les défilés sur les réseaux, puisqu’ils ne lisent plus de magazines. Les créations gardent elles bien les codes et le style de la maison de couture, c’est tout ce qu’il y a autour qui se modernise. Par les formes et les origines ethniques de ses égéries, il met aussi en avant une diversité chère aux réseaux sociaux et manquante dans le luxe.
C’est en partie grâce à cette approche « pop couture » qui plait que le directeur artistique de Balmain parle aux nouvelles générations qui désormais ont besoin de s’identifier pour rêver. C’est aussi en s’adressant à elles sur leurs supports que le créateur a su faire le succès de la maison, qui a quadruplé son chiffre d’affaire depuis son arrivée.
Si la technique Rousteing n’a pas toujours fait l’unanimité, la notoriété acquise par Balmain auprès du jeune public est indéniable. Dissocier entièrement les ventes et leur public de la communication de masse serait-ce la nouvelle stratégie porteuse pour le luxe qui peut aujourd’hui manquer d’impact sur le web social ?